Monsieur,
J'appren fort volontiers par la vostre du 24 finissant2 que vous travaillé pour la liberté du prince Palatin3, son arrest causant de gran desgoust parmy tous les protestans contre la France, qui à mon advis ne devroit s'acquérir plus d'ennemys, dont elle a sans cela gran nombre, et sa façon de procéder luy pouroit causer à la fin des bourrasques non attendues de tous costés n'estant soustenue que par la Suède seule en sa réputation d'avoir bien et sagement conduit la guerre jusques à présent.
Quant à l'armée de Tyrol on la prétend réduire à 12 mille à pied et trois mille chevaux conforme l'advis que i'en ay mesme de Tyrol d'une personne de qualité, mais pas que à cest'heur il n'y aura que deux mille à pied et quelque cinq à 800 chevaux, le manquement de fourrage ne permettant point qu'on y loge à présent toute l'armée jusques à ce que le prinstemps vienne, pendant le quel temps on croit que l'armée espagnolle ou bien la meilleure part d'icelle viendra de Roussillon dans le Milanois, où les traittés de Madame4 avec les princes5 sont desià tout à fait rompus, les Espagnols ne voulants quiter les places
70
conquises ny le mettre en séquestre des Suisses ou des Vénétiens come on avoit projetté. L'on despêche cependant un des sénateurs de Milan appellé Aois6 en Espagne pour donner part de ce tout au conseil du roy et luy représenter les raisons qu'on peut justement prétendre sur les fiefs de Bagnosio et autres 14 terres jadis conquises par les ducs de Savoye, lesquelles ayant esté des dépendances du Milanois et en ceste guerre d'Italie recouvrés par les Espagnols. Ils les voudroyent s'approprier conseillans pourtant au roy d'Espagne de ne les rendre plus. Mais si cela estoit valable de mesme pourroit-on prétendre sur Pisa, Bergamo, Bressa, le duché de Parme, la Valtoline et les baillages des Suisses delà le mont Gotard, qui jadis ont esté des appartenances du Milanois et la raison voudroit que les Vénétiens et mesmes les princes de Savoye s'y opposassent si la passion ou crainte ne prévaloit en leur conseil.Ceux de Lucerne ont bien donné des bonnes paroles à l'ambassadeur de Savoye7 touchant la réparation de ce que Amrin8 a fait, mais les effets ne correspondent point a leur promesses tant en cela que sur le suject de l'ambassade des princes, le comte de Mantue9, leur député, y estant supporté mal gré bon gré que les ambassadeurs de France10 et de Savoye en ayent et non obstant sa mauvaise conduite qu'il fait paroistre en ses discours, ayant osé dire tout haut que les Suisses n'estoint point libres ny souverains et que ce sont des gens qui n'entendront rien et qu'on les sçaura contraindre par force à ce qu'ils ne se veulent laisser induire par raison.
Ce qui nous fait doubter que les cantons cattoliques ne voudront sitost renvoyer cest ambassadeur prétendu pour n'offencer l'Espagnol et l'empereur, qui a adjugé come vous dites fort bien la tutèle du jeune duc11 aux princes, surtout à cest'heur que l'eslection d'un nouveau advoyer de Lucerne est tombé sur le colonel Fleckenstein12 et capitaine des gardes du pape, homme bien vaillant mais plus que trop adonné à la faction d'Espagne et qui presse l'oreille aux négotiations des princes pour accepter leur ambassadeur qu'on n'a pas jusques à cest13 heur voulu recognoistre pour tel, adjusté à cecy la force d'argent qui joue si advantageusement parmy ces gens là et dont en est armée une bonne quantité à Lucerne et 300 mille escus à Constance pour pourvoir la Franche Comté.
L'arrivée de ces flottes des Indes faisant parler si haut les Espagnols qu'avec la longueur ils croyent pouvoir surmonter toutes difficultés, aussy voyons-nous en effect qu'ils ont relevé les affaires de l'empereur en Boïme en sorte que Piccolomini14 se trouve desià fort de 14 mille à pied et 8 mille chevaux selon les advis qui en viennent de tous costés.
Nostre Banier15 pour restreindre ses forces en un corps s'estant retiré de Saz à Leutmeriz pour estre plus proche du Coningsmarc16 qui doit avoir desfait trois régiments Saxons auprès de Neustat et Ghera et renforce desià des trouppes de Halberstat, est en estat de pouvoir faire des bonnes diversions en faveur du Banier et le secourir prontement en tout cas de besoing.
De Rome on m'escrit que le prince de Sandalo17 qui avait tué sa mère18 et esté cause de quelque trouble public à Naples s'en estant pour ce suject retiré à Rome à la faveur d'un
71
sauf-conduict que le pape luy avoit donné, a esté emmené par force hors de la ville de Rome par ordre du vice-roy de Naples19 lequel y avoit mandé un carosse à six chevaux et environ cent hommes armés qui se sont saisis dudit prince sortant de la messe sans que le pape les en peut empêcher.Pour ce qui touche nos protestans ils sont fort mal avec les romanistes à cause d'un petit livret imprimé à Lucerne20 contre leur religion qu'il prouve avoir son origine du diable, chose jamais arrivée en Suisse depuis la réformation et qui est tout à fait contraire aux capitulations de leur landesfrides, ut metuam ne similia classica prodromi sint alicujus belli inter ipsos intestini, come nous avons veu arriver en Allemagne, ubi a verbis tandem deventum est ad verbera quae hucusque durant.
Ceux de Zurig par des lettres en ont enpostulé avec les Lucernois et attendent à cest'heur ce qu'ils respondront là-dessus. Mais oultre ce mal général les Bernois ont un particulier avec leur boursier Frichherz21, homme de qualité qui ayant mal-manié la bourse publique s'en estoit il y a quelque temps sauvé à Biel et de là à Basle et ayant voulu passer à Zurig pour y recercher quelque interposition en sa faveur par chemin il fut pris et mené à Reinfelden d'où monsieur d'Erlach22 l'a fait livrer jusques à Berne, mains et pieds liés, et, quoy qu'on face de luy, la conséquence n'en peut estre que très funeste pour Berne, pour ce que c'est un personnage de gran adhérance.
Pour fin ie ne veux obmettre de vous soubvenir de ce que ie vous ay prié touchant monsieur Heuf23 duquel i'attend pour le moins cent daler s'il ne peut m'accomoder de 200, n'ayant point d'argent que pour deux ou trois sepmaines en plus. Je vous supplie de l'y disposer sans attendre la ratification des descomtes de Suède, qui à mon advis tarderont à venir ceste hyver, ou bien pendant que l'assemblée des estats dure.
Je demeure, monsieur, tout le vostre
C.M.
De Zurig, ce 30 de Jenvier 1640.
Boven aan de brief schreef Grotius: Rec. 23 Febr.
En in dorso: 30 Jan. 1640. Marin.