Monsieur,
J'ay receu vos deux lettres du 17 et 24 finissant2 tout en un mesme temps, estant fort aisé d'apprendre par icelles la généreuse résolution qu'on a prise en Suède pour la continuation de la guerre en Allemagne ce qui me fait aussy espérer que l'alliance avec la France sera prolongée3 pour traitter unanimement la paix générale qu'il faudra extorquer par force aux Espagnols et Austrichiens qui autrement n'y consentiront jamais et c'est par
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là qu'ils se voyent liés pour ne pouvoir point arriver au desseing d'un arbitrage, qu'ils prétendent sur les affaires de la guerre qui se desmène à présent en Europe.Mais ie suis fort marry de ce que monsieur Heuf4 tarde tant à me payer du reste, craignant que pendant que ces descomtes arrivent ie ne face tant de deubtes que ie ne garderoy guerres de l'argent après les avoir payés. C'est une honte certes pour moy et pour la Suède qu'on me fait languir icy tant avec ce peu de gage sans considérer les difficultés qui me pressent de tous costés. Si la despence par chemin qui est trop long jusques en Suède n'estoit si grande, ie fusse party d'icy il y a longtemps; aussy faudra-il à la fin que ie m'y résolue par force, si ce mauvais traittement dure plus à la longue en mon endroict.
L'armée en Tyrol s'advance fort lentement, mesmes on croit que la plus gran part de ces trouppes sera rappellée dans le Milanois pour en renforcer les Espagnols auprès de Casal, où leurs affaires ne vont pas trop bien comme le verrez par cy-joinct advis5 venu d'un amy non partial.
On fait plus gran estat de ce que Hazfeld6 et Ghil de Has7 doivent emmener vers le Rhin et qui conjoints avec l'armée du duc de Bavière8 feront un corps considérable. De ce duc on tient qu'il est mal avec les Espagnols et l'empereur à cause de ses collusions avec la France et que pour ce regard il ait quitté son généralat qu'il a eu de la ligue cattolique.
Sur la remonstrance que les 7 cantons qui sont maistres de la Turgovie - dont Zurig en est un - ont par leur lettres faite tant à l'empereur qu'à l'archiduchesse d'Inspruk9 sur le fait de la fortification de Costance, on l'a un peu arrestée, mais i'apprens à cest'heur qu'on envoye des députés10 aux 5 petis cantons pour les esclaircir de la nécessité de ce fait, qui consiste en l'appréhension d'un nouveau siège et dans la mesfiance que les Austrichiens fomentent tousiours contre les Zurigois, qui ayans jadis contre leur promesse et sincération donnée permis le passage au mareschal Horn11 par leur territoire et celuy de la Turgovie ne se veulent plus fier d'eux prétendans qu'alors ils se voyent monstré trop partiaux pour la Suède et en tesmoignage de cecy monstrent aus dits cantons cattoliques quelques copies de mes lettres qu'alors i'avois escrites au mareschal Horn lequelles on a12 trouvé sur luy après la bataille de Norlingen13, quan il fut fait prisonnier. Hinc querelae contra nos et maxime contra me, qui pour cela suis fort taxé et mal veu de plusiours icy, encor que, si l'affaire eust eu son succès et ceste espine de Costance leur fust ostée, ils en eussent esté fort contens. Sed homines isti praesentia tantum curant et prout prosperior14 aut adversa fortunae aura pro nobis flat, ita nobis favent.
Ainsi vous me voyez mal partout et nos seigneurs sçachans cela devroyent avoir plus de soing de moi qu'ils ne font jusques à présent. Patience. Dieu ne veille que durant mon séjour icy il y ait quelque esmotion en Suisse, car ie n'y serois point asseuré de ma vie, surtout parmy la populace, qui est une terrible teste en Suisse.
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Je me reccomande à vos bonnes grâces et demeure, monsieur,
vostre serviteur
C. Marin m.s.
In loco solito Calendis Maiis 1640.
Boven aan de brief schreef Grotius: Rec. 23 Maii.
En in dorso: 1 Maii 1640 Marin.