302
Les chemins guastez par les pluyes continuelles ont embourbé nostre canon et empesché que nous ne soyons venus à temps devant Charlemont, les ennemis ayans eu le loysir de ravitailler la place despourveue de vivres et de la renforcer d'hommes. Ce qui, joint à la difficulté du fourrage et à cet endroit de pays qui a esté entièrement ruiné par les ennemis mesmes, oblige l'armée de se tourner de quelque autre costé. D'abord nous avons desffait le pont que nous avions basty sur la Meuse qui estoit guardé du régiment de Picardie et l'a-t-on transporté autrepart pour s'en servir en temps et lieu; puis on a campé deux jours devant Mariamburg, ce qui a fait croire le siège de ceste place attendant les ordres de la court.
Monsieur le comte de Guiche2 qui a despesché icy un gentilhomme3 par lequel il m'envoya hier visiter, m'apprend qu'il est desjà de retour à Retel et qu'il a eu commandement de se tenir prez du roy et de son Eminence où il sera dans peu.
Le marquis de Gesvres4 a ordre de conduire six à sept mille hommes de l'armée du grand-maistre5 à monsieur de Chatillon6, afin que son armée estant renforcée il puisse entreprendre quelque siège en Artois ou en Haynaut, ledit mareschal de la Meileraye devant tenir la campagne comme fit celuy de la Force7 il y a deux ans durant le siège de St. Omer.
Je cray que monsieur le prince d'Orange pestera bien de ce changement de marche et ne manquera de s'excuser là-dessus s'il ne fait bien qui vaille, pouvant alleguer que l'infant8 aura tourné toutes ses forces contre luy.
Quoy que faient courir les mauvais Françoys et les ennemis, il n'est arrivé autre mal à ceste armée, sinon qu'un canonier corrompu des Espagnols a fait sauter huit milliers de poudre venus de Mezières qui estoyent dans une église avec perte de 25 à 30 hommes seulement; que les Croates ont pris la pluspart du bagage de Gassion9 pendant qu'il estoit à la guerre, et que le baron de Vivans10 qui battoit la campagne avec deux cens maistres n'est retourné qu'avec cinquante, le reste ayant esté pris ou tué, faute d'avoir bien fait battre un bois où les ennemis estoyent en embuscade. Et voilà la pure verité du commencement de ceste campagne, en laquelle les ennemis ne nous ont pas tant incommodé que le temps et le ciel, ayant plu près de trois semaynes durant, ce qui a fait mourir beaucoup de chevaux et merveilleusement incommodé et diminué nostre infanterie.
Le roy et son Eminence son[t] à Noyon et semblent tirer vers Amiens.
Je suis trez humble et trez passioné serviteur de vostre Excellence.
Je suis en grand peine de monsieur Kniphausen11 n'ayant point receu de response à la
303
lettre qu'il vous pleut me faire l'honneur de luy envoyer par vostre addresse, ny à plusieurs autres que je luy ay envoyées par diverses voyes et dès les moys de Febvrier et de Mars passé. C'est pourquoy je vous supplier vouloir encor faire tenir cette cy.Le 1er Juin 1640.
Adres: Pour son Excellence, monsieur l'ambassadeur de Suède en son hostel.