Monsieur,
Je rougis avec vous pour la Suède à cause du manquement d'ordre pour le payement des ministres publiques, qui, devans soustenir l'honneur et la réputation d'une telle couronne, devroyent estre plus exactement payés, surtout moy qui ay demandé le moindre gage de tous et ne puis jouir des biens de ma femme2 ny pourvoir à ses intérets à cause de ma charge, oultre qu'on m'a promis mon gage payable chasque trois mois dont on fait desià des années. Mon malheur est que ie suis parmy une nation, qui ne fait rien qu'à des bons gages et qui tient les Suédois pour bien des braves gens, mais qui n'ont guerre d'argent, se desfiant pourtant mes créanciers de moy, qui ay mille peines accompagnées des dommages indicibles à trouver de l'argent pour vivoter seulement journellement, surtout à ceste heure que la maladie de ma femme me cause plus grosse despence, et nos principaux en ont peu d'honneur qu'ils me laissent icy en telle nécessité, qu'il faut que ie supporte n'y ayant d'autres moyens pour y remédier.
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Quant aux romanistes, monsieur, ie ne leur attribue aucune chose que ce que leur concile de Trente3 enseigne, qui en plusiours points est fort pernicieux et contraire à la parole de Dieu et à l'ancienneté, et ne crois pas qu'aucun homme de bonne conscience et intelligence les puisse approuver moins vivre dans la communion de l'église romaine, tant que les abus qui s'y sont glissés ne seront point cassés par un concile libre et général ou dans chasque pays provincial et ce en sorte que mesme les rois et princes par des gens sages et de bonne vie y coopèrent, car si on remet l'affaire aux seuls ecclésiastiques trop adonnés aux passions, ils le rendront tousiours plus scabreux, quia nulla pejor bestia, ut alicubi inquit Hieronymus, quam malus sacerdos4, quand il est gouverné par ambition, superstition ou avarice. Ce que ie dis non seulement de ceux, qui sont dans la communion de l'église romaine, mais de plusiours autres parmy les protestans, qui souventes fois commettent beaucoup de choses, qu'ils taxent sur les autres, comme nous l'avons veu au synode d'Hollande contre les arméniens5 et vous me le mandé à ceste heure de France de vos ministres, car pour telles choses la communion des saints ne se devroyent rompre, quand au fondement de nostre salut nous sommes unis.
Je suis de vostre advis qu'en plusiours points nous nous pourrions accorder avec l'église romaine moyennant qu'ils levassent au préallable leur abus, qu'ils ont surtout aux points de la messe, car pour la révérence, qui se doit conserver en prenant ou faisant la sainte cène, c'est plus que raisonable, et en Boïme nous avons eu des anciens Vaudois6, qui ont tousiours donné la sainte cène au peuple en s'agenouillant, mais horsmis cest exercice il ne la faudroit faire comme font les romanistes.
Et d'autant que cest incidant a porté que ie parlasse des Vaudois boïmiens, il faut que vous sçachiés que ces gens sont venus en ce pays-là mesme devant le temps de Huss7, ayans conservé telle pureté en leurs doctrine et discipline ecclésiastique, que parmy les protestans ie ne trouve pas une seule esglise, qui approche plus à celle, qui a esté après les apostres. Car ils ont conservé leur ancienne hiérarchie, dont le plus haut degré est episcopatus et le moindre acoluthus, gens d'une sainte vie et qui se contentoyent de peu, abbhorrans tout le luxe et pompe, et qui dans le plus gran persécutions ont conservé leur union et vivoyent comme des frères tant en Boïme qu'en Moravie et Poulogne, en chacune d'icelles provinces y ayant eu deux esvesques, dont un chascun gouvernoit sa diocèse et avoyt soubs soy douze anciens et plusiours diacres, sans qu'ils permissent qu'en cela les politiques s'ingérassent comme font à ceste heur les réformés. Ils ont conservé quelques points de l'église romaine, mais un peu réformés come la confirmation, l'absolution et la confession, sed non auricularem, ayans par chasque an conféré privément deux fois devant la sainte cène avec leurs auditoirs, tant sur leur vie que doctrine et là-dessus donné absolutions privément et publiquement dans l'esglise sans admettre en aucune façon à la sainte cène gens d'une scandaleuse vie. Ils sont à présent tous en Poulogne et parlent et croyent des articles controversés tout autrement que ne font les autres réformés, les croyans en toute simplicité conforme la parole de Dieu et l'ancienne église et moy ayant esté nourry en ma jeunesse parmy ces gens-là ie vous en sçaurois dire de gran choses et voudrois que tous les autres ministres réformés fussent de mesme sentiment et si pleins de S. Esprit comme eux.
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Ne croyez pas, monsieur, que la confession de Cyrille8 soit envoyée d'Angleterre, car ie sçay le contraire et plusiours de ses coévesques l'ont approuvée, mais non pas généralement tous, ce qui luy a causé du mal, encor qu'au reste ils se pourroyent mieux réunir avec nous que les romanistes, dont le pape s'attribue trop de pouvoir dans l'esglise. Prions Dieu qu'il veuille réunir son église par9 tant de sectes deschirée; ce que sa bonté feroit moyenant que nous voulussions faire profit de ces talens qu'elle donne à chasque homme, car alors, comme vous ditez très bien, nous pourrions faire plus de ce que nous ne faisons pas.
Pour des nouvelles nous avons icy la desfaite du Piccolomini10, dont nous attendons la confirmation et que Hohetvil a failli d'estre trahi par un lieutenant-colonel du gouverneur d'icelle place11, lequel estant convié sur la parole de cavalier d'un colonel impérial pour s'abboucher avec luy au retour de là, ledit lieutenant nommé Marschale, gentilhomme d'entraction qui a eu des secrètes correspondances avec les impériaux, l'a voulu tuer d'un coup de pistolet lequel n'estant bien réussy le gouverneur luy donna un coup d'espée à travers du corps et là-dessus le fit prendre et ramener dans la forteresse, où on luy fera son procès.
Cependant l'amas de gens autour de Costance continue sans pouvoir pénétrer leur desseing.
Turin tient encor sur l'espérance d'un accord, qui sera bien difficile.
Je demeure, monsieur,
le vostre
C. Marin m.s.
De Zurig, ce 3/13 de Septembre 1640.
Monsieur Mukell12 me presse tousiours de l'affaire de Jean de Vert13, s'il sera ammené à Benfeld en eschange de nostre mareschal Horn14, dont ie vous prie de me donner advis.
Boven aan de brief schreef Grotius: Rec. 27 Sept. 1640.
En in dorso: 13 Sept. 1640. Marin.