Monsieur,
Puisque vous n'avez point des nouvelles de monsieur Strasburg2, ie crains que le bruict de son voyage n'ait esté controuvé pour entretenir monsieur Heuf3 en air et nous autres avec, car s'il estoit en chemin il devroit desià estre à Paris. Le mal est que i'en pâtis plus qu'un autre, vivant parmy un peuple qui ne fait rien qu'à des bons gages qui me manquent, ayant desià engagé tout ce que ma femme4 a en meubles. Ma femme est tousiours malade et on me conseille que ie la transporte ès Grisons plus proche de la
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Voltoline pour iouir de l'air de la patrie ce qu'elle désire aussy pour pouvoir tant mieux pourvoir à ce peu qui luy reste là; mari sans argent ie ne puis rien faire ayant à peine de quoy vivoter et déplore certes mon malheur, que ie m'attire de ce service que ie fais à la Suède sans que i'en puisse sortir en aucune façon que ce soit. Je prie Dieu qu'il me donne patience à pouvoir supporter ce mauvais traittement, car il m'est desià insupportable et voudrois que quelque bon amy m'assistoit de son conseil en ce que ie dois faire. Pleust à Dieu que i'eusse sçeu cela que ie vois à ceste heur il y a quatre ans, certes i'eusse pourveu autrement à mon fait; à ceste heur ie suis dans un embarras d'où ie ne puis sortir sans mon deshonneur et danger de la vie de quel costé que ie me tourne. Patience. Ie ne me soucie plus de ces charges qui ne m'apportent que du mal, voudrois seulement de me pouvoir retirer en un lieu où ie puisse iouir de ce que ma femme a et passer le reste de la vie que Dieu me donra en repos et au maniement de la campagne dont ie me délecte, ayant desià assez veu du monde.Nous n'avons pas encor les conditions de la reddition de Turin5, le desbordement des eaux qui ont rompu tous les ponts empêchant le passage libre aux messagers d'Italie. En eschange de cecy ie vous envoye de ce que i'ay de Constantinople6 et attend vostre advis tant sur l'affaire de Jean de Vert7 que d'autres choses dont ie vous ay desià escrit.
Les Grisons sollicitent leurs affaires à Ratisbonne et les cattoliques Suisses voudroyent rappeller leur milice de la France, parceque les Espagnols se plaignent qu'on l'employe contre la ligue héréditaire qu'ils ont avec l'Austriche.
A Ratisbonne et en Espagne tout se préparé à une furieuse guerre pour l'an qui vient, car on veut plustost hazarder tout le reste que de laisser la France en possession de ce qu'elle tient, et à ce qu'on escrit de Ratisbonne l'empereur doit avoir donné ordre à Piccolomini8 de hazarder un combat contre Banier9, qui à mon advis se desmêlera dans le pays de Luneburg, où toutes deux armées tirent.
Dieu le face réusscir souhait de nostre party et de tant de gens de bien qui suspirent après une bonne paix.
Je me reccomande à vos bonnes grâces et demeure, monsieur,
vostre serviteur de tout mon coeur
C. Marin m.s.
De Zurig, ce I/XI d'8bre 1640.
Boven aan de brief schreef Grotius: Rec. 24 Oct.
En in dorso: 15 Oct10 1640 Marin.