Monsieur,
Ne pouvant faire autre chose parmy mes incroyables nécessitez qui me font icy un pauvre mendiant exposé en dérision de tout le monde, j'escris dereschef à la reine la suppliant, puisqu'on ne me veut payer mes arrière-gages de quatre ans tantost, qu'on m'en2 envoye pour le moins tant, qu'en partie je puisse contenter mes créanciers ausquels je dois desjà plus que mon gage ne porte, et despêcher quand et quand ma femme3 avec une partie de ma familie ès Grisons, où elle ne peut aller sans argent qu'il faut avoir pour plaider et donner ordre à cultiver les fonds qui sont en friche. Je la voudrois suivre, s'il plaira ainsi à nos seigneurs, et les Grisons n'y seront pas contraires à ceste heur, estant si mal avec Espagne et le seront de plus en plus. Je vous supplie d'y contribuer ce que vous pouvez, et faire tant que Mon.r Heuf4 m'envoye pour le moins deux cent dalers, car tout ce que M. Mukel5 me mande ne sont que des vaines espérances, pour m'amuser à ne point partir d'icy. Aussy se plaint-il qu'il ne peut avoir son gage pour ceste année à cause de tant [de] despences qu'il faut faire ailleurs. Je vous asseure
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que je m'estonne com[m]e je puis vivre encor parmy tant des incom[m]oditez et dommages qui m'accablent icy, et me réduiront peu à peu aut ad phtysim aut ad delirium mentis, si Dieu ne me sustient miraculeusement ou que quelque subside ne me soit mandé bientost. Deus mei misereatur et cum tentatione et liberationem praestet aegris.Hohetvil est tousjours assiégé sans qu'on parle encor de le secourir sitost. Ceux de dedans Samedy passé ont fait une sortie sur les impériaux ayant taillé en pièce leur sentinelle et en emmené quelque prisonniers avec quelques petis mortiers. On dit aussy que le gouverneur6 a fait sortir une vache qui avoit sur des cornes une quenouille attachée et là-dedans un petit billet qui dit: ‘Quand vous aurez appris à ceste vache de filer, alors vous prendray Hohetvil.’ En effect c'est une bien forte place commandée par un des plus résolus capitaines, et si les impériaux s'emporteront, ils feront des miracles.
Nous avons Mardy prochain des prières avec un j[e]usne général publié parmy les protestans en Suisse qui sont menacés de tous costés et tiennent le loup par des oreilles, quoyqu'ils se résolvent tant pour la levée de France qu'on leur demande, que pour le refus d'icelle, ne pouvans donner satisfaction à tous ceux qui sont intéressez avec eux, et qui à son temps feront quelque complot ensemble pour les ruiner.
L'ambassadeur de France7 estant arrivé à Rome il faut voir le succez de sa négotiation pour le duc de Parme,8 dont on désespère; on tient aussy que l'ambassadeur de Portugal9 ne sera point accepté pour tel à Rome, pour ne mettre tout à fait hors de garde l'Espagne dont l'amitié importe de beaucoup plus à Rome.
Je demeure, monsieur,
vostre redevable
C.M. mp.
De Zurig, ce 25 de 9bre l'an 1641.
Bovenaan de brief schreef Grotius: Rec. 25 Dec.
En in dorso: 25 de Nov. 1641 Marin.