Monsieur,
Je ne m'estonne pas de ce que [vous] me mandez par vostre lettre du 19 de ce mois qu'on a si grande peur en France d'avoir sur les bras toutes deux armées d'Espagne et d'Allemagne,2 car veritablement il n'en faut pas attendre autre chose, si les Suedois par leur generosité ne mettront fin à la guerre de Danemarc cest hyver et que Rakocky ne sorte bientost en campagne,3 comme on nous en asseure qu'il le fera devant le mois de Mars. Nos ennemys haussent fort leur teste et croyent de pouvoir domter non seulement la France, mais aussy les protestans en Suisse, surtout Zurig et Berne, qui ont le plus favorisé nostre party au siege de Brisac et des Villes forestieres,4 et ausquels pourtant ils veulent gran[d] mal, et n'estoit que eest hyver les en empeche, on croit qu'ils auroyent desja envahy le Bernois et le territoire de Zurig pour s'y rafraichir comme font les nostres dans la Halsace,5 ou les obliger à un accord fort desadvantageux pour la France. Le magistrat d'icy en est adverty de plusieurs endroits, estant asseuré que Jean de Vert, Mercy et Volf ramassent en toute diligence leurs trouppes6 et que mesmes le vieil[?] archiduc Leopold7 les a joint avec 4 mille hommes et qu'en tout ils ont 25 mille, se faisant
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entendre ouvertement qu'ils en veulent à Zurig et Berne, et on croit mesme que les Petis Cantons, enragés pour sa ruine contre ce canton-cy, tiennent une fort estroite correspondance avec les Bavarois, qui sans cela ne l'oseroi[en]t jamais entreprendre. On en est fort alarmé icy et tous ont commendement de tenir leurs armes prestes; mesme il y aura d'icy en trois sepmaines un jusne general parmy les protestans publié desja le Dimanche passé. La France a occasion d'y prendre garde, car il y va de son interest.J'en suis fort contristé à cause de mon pauvre mesnage, n'ayant ny argent ny autre moyen pour me retirer d'icy en lieu de seureté, estant mesme en danger de ma vie à cause de tant de factions qu'il y a en Suisse. Faites donc pour Dieu quelque chose pour mon soulagement, car de la Suede en ce temps si facheux il ne faut que j'attende beaucoup de secours, nos lettres estant encores toutes à Hamburg à cause de la guerre de Denemarc, qui m'afflige fort.
La paix faite à Venise8 n'est pas encor ratifiée par le pape fort malade, deux de principaux cardinaux Raggi et Cesarini estans desja morts.9 On dit que l'ambassadeur de Venise qui est à Munster,10 faira l'office de mediateur entre nous et l'empereur, et s'il le fait, pour moy j'en apprehende une tresve.
Quand vous auray le mani[fe]ste de la Suede11 qu'on nous promet, je vous supplie de m'en faire part, et si le roy de Poulogne est interessé en ceste ligue de Denemarc. C'est un dernier coup de l'Austriche contre la Suede,12 lequel s'il ne reussit pas bien, voila la Suede au plus haut point de gloire dans l'Europe. Dieu nous donne la paix partout, car je l'aime autant que vous, surtout me trouvant desja en mon aage de 40 ans avec la goutte et ce qui en despend.
Je demeure, monsieur,
tout le vostre,
C. Marin m.p.
De Zurig, ce 25 de Jenvier l'an 1644.
J'ay veu dans le cattalogue des livres imprimés cest'année plusieurs antagonistes qui ont escrit contre vous;13 nous verrons quel fruit apporteront ces desbats. Cum veritas nimium altercando amitti soleat.14
Bovenaan de brief schreef Grotius: Rec. le 18 Feb.
En in dorso: 25 de Jan. 1644 Marin.