Monsieur,
Vostre lettre du 22. de Décembre2 ne m'a esté rendue que le Xe de ce mois de sorte quelle n'a pas ioui d'une meilleure fortune que la mienne, et ne sçai à quoi imputer ce retardement sinon à mon malheur qui me prive de la communication d'un homme que ie chéris et estime pour ses rares vertus par dessus toutes les choses du monde. Et m'estonne que demeurant en une ville de si grand traffic le commerce des lettres n'y est mieux establi.
Les nouvelles des amis qui sont celles que désirez plustost sçavoir sont bonnes, Dieu merci, tous estans en bonne santé et n'estant arrivé parmi eux aucun changement notable digne de vous estre mandé.
Mr. Rigault3 est tantost à la fin de son travail et croi que tout l'ouvrage pourra paroistre au iour vers la fin du mois de Juin, car vous cognoissez son humeur qui ne précipite rien et veult du temps pour se recognoistre. Je ne pense pas qu'il y ayt rien à apprehender maintenant du costé de nos prélats comme il luy arriva à l'édition de ses premiers traittez, ces messieurs ayant assez d'occupation à se deffendre contre les entreprises des moines et particulièrement des jésuites qui font tout ce qu'ils peuvent pour se soustraire de leur obéissance.
Je me remets à Mr. de Cordes4, nostre commun ami, pour vous instruire de tout ce différent qui a esté porté iusques aux oreilles du roy5 et ensuite de monseigneur le cardinal6. Le bon homme est tant de vos amis qu'il ne vous déguisera peutestre pas comme à nous le vrai nom du Petrus Aurelius7 qui a si bien entrepris
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la deffense des évesques que ces messieurs quoiqu'assez mal unis ensemble ont esté contraints d'avouer que sa doctrine estoit orthodoxe, désirants seulement qu'il eust apporté moins d'aigreur contre la Société.Monsieur de Thou8 vous a grande obligation du souvenir qu'il vous plaist avoir de luy et m'a chargé de ses humbl(es) baisemains avec la continuation de son service, et cela avec des tendresses et ressentimens d'amitié et d'estime qu'il fait de vous si grands que ie n'ai point de paroles pour vous les expliquer. Il est de retour depuis deux mois de son intendance de Bourgongne de laquelle il s'est acquitté au contentement du gouverneur9 et de toute la province. Il est menacé d'un second voiage pour quelques affaires qui y sont survenues. La cheute de monsr. de Chasteauneuf10 que vous aurez désià sçeu d'ailleurs l'a un peu surpris, encore que la faveur qu'il avoit auprès de lui subsistast plus dans l'imagination des hommes que dans l'essentiel, cet homme estant d'une humeur si rude qu'il ne se communiquoit à persone. Ce changement a donné grande matière d'entretien; mais comme vous cognoissez la constitution de nostre gouvernement, cela n'est pas pour produire aucune altération dans l'estat. Son successeur qui est Mr. le président Seguier11 a donné iusques ici grande satisfaction par sa suffisance et douceur de moeurs. Mr. de Chasteauneuf est conduit à Angoulesme pour y estre gardé dans le chasteau, et ie ne sçai si on ne passera point plus avant et si la prison sera capable d'expier ses fautes que l'on publie très grandes. Mr. de Haulterive12, son frère, s'est eschappé et retiré, ce dit on, en vos quartiers. Nostre court quoi qu'ambulatoire est tousiours en ces quartiers le roy se plaisant merveilleusement au sejour de St. Germain et Versaille et depuis peu en celui de Chantilly qui est une terre qu'il a retenu des bien de monsr. de Montmorancy13, ayant abbandonné tout le reste de la succession aux trois soeurs14, et de peur qu'il n'arrivast division pour le partage entr'elles, par la déclaration vériffiée au parlement il l'a lui-mesme fait, donnant à mr. d'Angoulesme15 à cause de sa femme 36. mil livres, à madame de Ventadour16 28 mil, et à mr. le prince17 à cause de sa femme tout le reste des biens tant meubles qu'immeubles à la charge de payer toutes les debtes qui montent à onze cens mil escus. Le roy fait revivre la dignité de duché de Montmorancy en considération de mr. le prince et de ses enfans18.
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Je vous mande ces particularitez à cause de la cognoissance que vous avez de nos affaires. Il court un bruit présentement et qui semble se confirmer que monsr. Servient19, secrétaire d'estat, qui avoit tousiours esté depuis sa promotion en cette charge emploié en la court de Savoie, a esté dépossédé et arresté à Lion s'en revenant de deçà pour l'intelligence, dit on, avec mr. de Chasteauneuf, et lui baille t'on pour successeur mr. Bautru20 qui a esté ambassadeur en Flandres. Nostre bon ami mr. des Hayes21 depuis la disgrâce de son fils a dit adieu à la court et mesme s'est privé de la visite de ses amis de ville se tenant tousiours renfermé dans le logis. Je ne manquerai pas au premier jour de le visiter pour lui tesmoigner le ressentiment que vous avez de son affliction.
Si j'estois si heureux que de vous pouvoir rendre quelque service pendant vostre absence ce me seroit une merveilleuse consolation affin que vous cogneussiez par les effects plustost que par les paroles que je suis véritablement,
Monsieur,
Vostre très humble et très obéissant serviteur
J. Dupuy.
De Paris ce XII Mars 1633.
Mes frères22 vous baisent les mains. Vous nous obligez de saluer de nostre part mr. Lindenbrogius23.
Adres: A Monsieur Monsieur Grotius A Hambourg.
In dorso schreef Grotius: 12 Maert 1633 du Puy.