Monsieur,
J'ay bien reçeu la vostre du 27 passé2 et conforme ce que désirez ne manqueray point de vous donner part de tout ce qui se passe parmy nous.
Les Suisses en général sont en grandissime jalousie à cause du Brisac et de ces traittés qu'ont fait les Vinariens avec la France, dans lequels il y a bien quelque mention des confédéréz, mais en effect tout se gouverne soubs le nom de la France qui par ses conseils et actions fait acroire aux Suisses qu'elle ne cerche autre chose que de s'asseurer du Rhin, estendre ses limites jusques à Coulogne et faire ainsy un fort boulevard de son rauyaume du costé d'Allemagne, ce qu'ayant, elle aura tousiours moyens d'empiéter sur la Suisse et la faire danser come elle voudra. Que si les protestans avoyent autant de résolution come les romanistes, ils eussent desià secouru la Bourgogne à main forte, et passé plus oultre contre la France; mais la mesfiance qu'il y a entr'eux à cause du différend de la religion et de tant de factions qui regnent parmy ces peuples empêchent leur bonne union et tant que la France traittera bien les protestans, à mon advis ils ne se lairront point attirez aux desseings des romanistes, qui sont de iour à aultre plus acharnez contre le party françois, plusiours craignans qu'à la fin ils ne facent quelque complot secret avec les Espagnols contre les cantons protestans, qu'ils voyent si constamment attachez à la France, sans luy vouloir donner jusques à cest'heur le moindre suject de desgoust, et ce n'est pas sans quelque mystère que l'évesque de Constance3 et l'abbé de S. Gall4 commencent à resveiller des vieilles quérelles qui par de traittés réciproques ont esté accordées avec la ville de Zurig l'an 16305, voulans que les protestans de la Torgavie et de Tockenburg in causis matrimonialibus comparoissent devant le consistoire de Costance et non pas devant celuy de Zurig come il a esté ordonné entr'eux, pour cercher aussy nouvelle matière des troubles, que les cantons cattoliques voudront fomenter, pour avoir occasion de leur faire la guerre, ou la faisant les autres, leur refuser leur secours desià. Ils ne veulent aussy chastier le colonel Amrin6, moins rappeller son régiment, et à ce que l'ambassadeur de Savoye7
20
m'escrit sont sur le point d'accepter un nouveau ambassadeur de Savoye8, que le prince Thomas9 a destiné à Lucerne, de la mesme maison que celuy qui y est à présent son parent, recerchant qu'on luy donne toute assistance pour l'assasiner. Mais l'ambassadeur de France10 avec celuy de Savoye à présent ont desià solennellement protesté aux cantons cattoliques qu'ils ne le peuvent recevoir sans se déclarer ouvertement ennemys du roy trèschrestien, du duc de Savoye11 et de madame de Savoye12, conforme ce que les Vénétiens ont fait qui n'ont voulu mesme donner audience au député du prince Thomas pour n'en offenser point la France. Et à cause de cecy les cantons protestans s'assembleront lunedy prochain à Arau ayans bien besoing d'estre sur ses gardes à cause de tant de menaces, qu'on leur fait de tous costés; il y a aussy apparence que l'armée, qu'on ramasse dans Tyrol pour le recouvrement de Brisac et de l'Alsace, venant au voisinage les incommodera grandement estant vraysemblable qu'elle voudra cercher le passage par leur terres et se servir des vivres de leur pays, car autrement elle ne sçauroit point subsister auprès du Rhin. Le pays d'alentour estant tout a fait désolé.Le gouverneur de Milan13 a escrit aux Grisons qu'ils envoyent les quatre cent hommes qu'on a entretenu dans le fort de Rhin, qui se desmolit encor, dans Tyrol, et qu'ils facent retirer les protestans de la Volteline conforme le dernier traitté de Milan14 ce qui renouvellera les playes parmy les bon Grisons, mais n'ayans point de forces ny de secours toutes leur plaintes seront vaines. Ils ont envoyé leur députez15 à Inspruk samedy passé pour adjouster leur différend qu'ils ont avec l'Austriche touchant le 8 droitures et l'Engedine Basse, mais à gran peine obtiendront-ils à cest'heur plus de ce qu'ils n'ont obtenu à Milan, la coustume des Austrichiens n'estant de desmordre si aisément de ses droits, quand il s'agit avec des gens, qui sont dans leur nasse.
Nous sommes en attente de ce qui en réuscira non moins que vous de ce qui se passe entre la France, Rome et l'Angleterre, surtout souhaitterois-ie que les rois de Fraince et d'Espagne prissent à la fin quelque masle résolution contre les usurpations du pape pour se remettre dans la possession de leurs anciens droits qu'ils n'ont qu'à demy et tandisque16 cela se fait, la chrestienté ne sera jamais en repos come estant source de tous maux, desquels elle est combattue.
Pour mon particulier, monsieur, ie voudrois que vous puissiez disposer le sieur Heuf17 qu'il m'accomodast de deux cent risdalers pendant que le reste viene, en ayant besoing en tant des occasions qui me pressent.
Sur ce je me reccomande à vos bonnes grâces et demeure, monsieur,
vostre serviteur de tout mon coeur
Marin ms.
Généralement M. 36.57.33.43.51.25 est tenu pour 42.80.20.36.65.57.82 de la Suisse et si 14718 les pouvoit attraper ils l'assomeroyent.
De Zurig, le 2/12 de Jenvier l'an 1640 que je vous souhaitte et vostre famille bon et heureux avec beaucoup d'autres suivants.
21
Bovenaan de brief schreef Grotius: Rec. 29 Ian.
En in dorso: 12 Ian. 1640. Marin.