Monsieur,
Depuis quelque sepmaines ença vos lettres ne prennent pas le droit chemin, car l'ordinaire passé ne m'en a point apporté et celle qu'il vous a pleu m'escrire le 31 du passé2 a fait un destour à S. Gall et de là à Zurig.
Ie suis de vostre advis que les François embrassent trop et estreingnent peu; et, ce qui est pire, par tels acquits se rendent odieux à tout le monde, qui voit plus clair dans leur desseing qu'ils ont d'aggrandir leur monarchie aux despens de petis aussy bien que l'Austriche en sorte que ce seroit bien difficile à décider si on devoit disputer publiquement lequel seroit le plus expédiant pour la liberté commune qu'une de ses gran puissances emportast le dessus. In utramque partem dubitandi rationes sunt praegnantissimae, et si la
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maison d'Austriche et d'Espagne n'avoyent point ceste bigoterie et l'appetit de trop dominer dans sa teste, son empire seroit à la verité admirable et plus tolérable que celuy de France à présent.Nostre petite guerre à Lucerne3 dure encor, car encor que le magistrat ait résolu de rappeler le régiment du colonel Amrin4, cela pourtant n'est pas encor exécuté, l'ambassadeur tant d'Espagne5 que des princes6 y protestans, que ce n'est pas à luy seul d'en décider, mais à tous les cantons cattoliques, dont il a levé sa milice, oultre que cela offenseroit grandement le roy d'Espagne et l'empereur mesme qui a adjugé la tutèle du jeune duc7 aux oncles, ex cujus vigore six mille hommes sont arrivéz de Salza à Final, et de Milan on leur envoye des habits; autant attend-on de Naples et d'Allemagne, où le général major Ghil de Has8 fait des levées pour l'Espagne et sera employé dans l'armée de Tyrol, qui aura sa place d'armes dans les quatre baillages delà le mont Arle.
On parle d'une ligue entre le pape, les Vénétiens et le duc de Parme9, et à Rome on arme fort.
Les exiles de la Voltoline recerchent l'ausmone auprès ceux de Zurig, les Grisons n'en voulans rien contribuer. Ie ne m'estonne pas de ce qu'on dit vulgairement d'eux: si Rhaetiam dixeris, omnia mala dixeris, car leur actions, qu'ils font paroistre, moristrent qu'ils ont peu de conscience et point d'honneur en général, encor que ie sçay qu'il y en a parmy eux des bons, qui ne sont à mespriser.
Ie ne sçay quoy faire, voyant que monsieur Heuf10 tarde tant à me payer et qu'il ne m'accomode pour le moins de cent ou 200 dalers, pour me délivrer de la peine d'en emprunter des Suisses. Il seroit raisonable qu'il m'advertist de ce qu'il veut faire en mon endroit pour sçavoir ce que i'ay à attendre. Ie vous supplie, monsieur, de l'en presser et faire tant qu'il me soubvienne au plustost dans ma nécessité qui est incroyable.
Ie vous baise les mains et demeure, monsieur,
tout le vostre
C. Marin ms.
De Zurig, ce 13 de Feber. 1640.
Amrinus secutus fuerit partes principum. Par mesme raison il prouve qu'ils ne peuvent refuser son ambassade, n'ayans jamais refusé celle des plus gran ennemys come celle du feu roy de Suède11, et du duc de Veymar12 qui a eu plusiours fois ses députez à Basle; l'un et l'autre affaire demeurent pour cela en suspens et ne peut estre décidé que dans la diète des cantons cattoliques que le dit ambassadeur des princes tiendra à ses despens, et pour la faire réuscir à son contantement l'ambassadeur d'Espagne y travaille fort, et n'y a guerre que l'empereur a envoyé pour le mesme suject le baron de Schwarzenberg13 à Lucerne, passé par icy il y a cinq jours seulement, et qui travaillera aussy pour favoriser l'armée, qui passera par les Grisons et le Tyrol, et du passage et des vivres et munitions. Au contraire l'ambassadeur de Savoye14 et celuy de France15 protestent, que si on accepte l'ambassadeur des princes, leur maistres en seront offencés et que en tel cas l'ambassadeur
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de Savoye a ordre d'en partir avec une proteste solennelle. Ita boni isti viri inter malleum et incudem constituti sunt.Les députés grisons16 sont encor à Inspruk attendans le courier de Vienne, qui toutesfois leur apportera peu de contentement, l'Austriche ne voulant déroger à aucun de ses traittés passés, ce qui causera à la fin du bruict parmy les Grisons, dont les principaux emporteront (?) bien de testes cassées estans desià fort hays du peuple qu'ils ont si meschamment trompé.
Boven aan de brief schreef Grotius: Rec. 7 Martii.
En in dorso: 13 Febr. 1640. Marin.