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Monsieur,
Vostre Excellence verra par les lettres de son Altesse le duc Guillaume2, qui me donneront créance et légitimeront ma personne en tout, ce que par commandement de son Altesse i'ay voulu tantost dire et donner tout ensemble par escrit à vostre Excellence, l'asseurance qu'elle a de vostre affection envers sa maison.
Son Altesse souhaitte à vostre Excellence toute sorte de félicité et avantageux succès en toutes ses affaires. Au surplus, son Altesse est asseurée que vostre Excellence sçait aussy bien qu'elle mesme, ce que feu son Altesse le duc Bernhard3, prince de très louable mémoire et frère de monsigneur, ordonna par son testament laissant à un de ses frères tout ce qu'il avoit acquis durant cette guerre par ses armes victorieuses, tant de terres que de fortresses. Or, bien que cette perte fut que trop sensible à messigneurs les frères de feu son Altesse ayant perdu une si puissante colomne et très fort appuy de leur maison, ils ne resolurent pourtant enfin, selon la magnanimité et constance que Dieu leur a donnée, à la supporter en patience, estant asseurez que, comme son Altesse avoit tesmoignée toute sa vie, n'avoir autre inclination ou but de ses armes, que le repos de sa chère patrie et le restablissement des princes et estats de l'empire, aussy auroit elle contestée cette louable intention par les lignes de sa dernière volonté.
En quoy ils se trouvèrent nullement frustrés, car m'ayant envoyé devers Brisac pour faire ouvrir avec les solennités ordinaires ledit testament, ce que ie fis en très humble dévotion, ils retrouvèrent que la dernière volonté de son Altesse fut du tout conforme à ce qu'il monstra durant sa vie en toutes les actions. C'est à dire, qu'il ne cherchoit qu'une paix de la chrestienté et perpétuelle et asseurée, le bien et la prospérité de l'empire, le contentement des couronnes confédéreez avec la conservation et heureuse subsistance de sa propre maison, comme d'une de plus anciennes et très illustres de l'empire.
Monsieur, messieurs les frères de feu son Altesse ne purent que louer et estimer ce trait de l'esperit de leur frère qui estant aux aboys de la mort, jetta pourtant un si grand esclat de vertu et de prudence et ayant, outre ce qu'ils eussent esté n'estoit les testament de son Altesse les vrais héretiers, ce double droict, ils se mirent à délibrer seurieusement sur une chose de telle importance, envoyant cependant devers les directeurs de l'armée4 pour les faire prier de ne précipiter point les affaires, ains d'attendre ce qu'ils résoudroient à leur costé promettant tout ensemble une résolution et prompte et preste, ils tombèrent donc d'accord, que monsigneur le duc Guillaume comme l'aisné des frères embrasseroit l'affaire et rechercheroit de satisfaire à la dernière volonté de feu son frère par l'appréhension d'une possession de terres conquises et des fortresses occupées, sans déroger pourtant à l'intérest des autres intéressez. Arrest qu'il fist déclarer et sçavoir à messieurs les directeurs, qui néantmoins avoient conclus avec sa Majesté le roy de France ayant donné à sa dite Majesté la place de Brisac et de Friebourg.
Ils respondirent pourtant à ceux qui firent envoyer de la part de son Altesse que tout cela s'estoit passé pour la conservation de l'armée sans préjudice à l'intérest de son Altesse, le droict de laquelle estoit encor en sa vigueur; toutefois adjoustèrent-ils qu'ils pouvoient
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rien faire en cet endroit, ains qu'ils estoient contraints et obligez de s'en remettre aux couronnes.Mon prince, ayant donc obtenu cette dernière résolution, ne tarda guerre, comme il avoit desjà fait devant d'aller prendre son recours en partie à la couronne de Suède, estant obligé outre le respect qu'il devoit à sa Majesté par les parolles expresses et claires du testament, de s'addresser à elle, et sçachant en quelle consideration sa Majesté avoit eu la personne de feu son Altesse et comme elle estimoit encor toute la maison de Saxe-Weimar, il luy représenta la volonté de feu son Altesse, son inclination et la justice de sa cause et obtient de sa Majesté une responce qui le satisfit entièrement, assavoir que sa Majesté se resouviendroit non seulement toute sa vie des vertus, de la magnanimité et des actions généreuses de feu son Altesse, mais qu'elle vouloit au surplus et souhaittoit bien fort que la dernière volonté de son Altesse fust gardée en toutes ses clauses; puisque pourtant les affaires n'estoient plus entières et qu'il y avoit de traités d'avec sa Majesté le roy de France et les directeurs de l'armée, elle pouvoit rien résoudre sans qu'elle sçeut les inclinations de sa Majesté de France envers le dit testament, desquelles après que sa Majesté seroit informée par son Altesse, elle contribueroit selon son possible à son avantage.
Cela fist haster ce qui estoit desjà résolu, à sçavoir d'envoyer devers sa Maiesté de France pour représenter à sa Majesté toutes ces choses et la soliciter tout ensemble très humblement qu'elle vouloit avoir en considération la maison de feu son Altesse, sa dernière volonté et donner là-dessus une résolution bonne et espérée.
C'est pourquoy, monsieur, je suis icy avec commandement d'aller faire la révérence à vostre Excellence et luy descouvrir le contenu de ma commission, comme aussy de solliciter ensuite la persévérance de vostre bonne affection envers monsigneur et sa maison d'avec l'assistance de vos très prudens conseils, car son Altesse recommande à vostre Excellence toute cette cause et elle luy en aura une obligation et grande et estroite.
Mais quant à moy ie seray toute ma vie de vostre Excellence,
très humble et très obéissant valet
H. Philibert de Krosig mp.
Paris, le 20/30 du Mars 1640.
Adres: A son Excellence Monsieur de Groot, Ambassadeur ordinaire de la Couronne de Suède près sa Majesté trèschrestienne.
In dorso schreef Grotius: Stucken van H. Willem van Wimar.