Monsieur,
Vostre dernière du 19 finissant2 ne me dit rien plus de ces lettres de Suède que vous en attendés ny quand le comte suédois3 fait estat de faire son retour en Suède et si ie me dois ioindre à ce voyage, puisqu'il m'est impossible de continuer plus en telle sorte, comme i'ay fait durant sept ans, ma charge icy, aussy n'est-ce pas de la réputation de nos maistres que leur ministre soit abandonné de telle sorte en un pays, ubi nihil aliud quam pecunia et lucrum quaeritur. De l'un et l'autre i'attendray vostre advis, demeurant cependant en continuel chagrin tant à faute des moyens que pour la maladie de ma femme4 qui est en danger d'avorter. Dieu me console en toutes les afflictions que me cause ma charge qui m'est à la vérité de surcharge, et plustost que vivre en telle sorte i'aimerois mieux estre un paysan Suisse qui est à son aise.
Les députez de 13 cantons sont assemblez à Bade5 à cause de leur comtes qu'on reçoit ordinairement en ce temps de leurs communs baillages et si on y traittera quelque chose du public, ce sera accidentalement. Monsieur Mélian6 y est, pour prendre son congé d'eux, regretté de tout le monde à cause de sa preudhomie et douceur dont il a sçeu traitter les Suisses en général, qui en sont fort contens.
Ie ne sçay si on y parlera plus de ceste plus estroite conjonction des Suisses, car il semble qu'on n'y va pas à bon escient de l'une et d'autre part et pour secourir la Bourgogne on n'en parle plus, puisque les protestans en ce point ne sont pas d'advis avec les romanistes, lesquels peu auparavant ont esté aussy assemblés à Lucerne7 sur le suject que ie vous ay dit et oultre cela ont traitté de l'affaire de l'abbé d'Ensidel8, qui n'est pas encor décidé, ceux de Suiz voulant maintenir en toute façon leur souvaireneté sur icelle abbaye y ayans leur baillif et rejettent toutes autres interpositions.
A cecy est survenu un autre incidant à cause du pont que le canton de Zug a voulu fabriquer sur la Ruse pour faciliter le commerce avec le pays d'Ergau, à quoy ceux de Lucerne s'opposent craignans le désadvantage qu'en recevroit leur marché, mais les autres cantons semblent y vouloir consentir s'estans pourtant séparez ensemble fort peu contens. Aussy les Suisses sont mal, et par dedans et au dehors, haïs de tout le monde. Mais les Grisons sont en beaucoup pire estat voyans qu'il[s] ne sont plus caressés ny de la France ny de Venise comme ils ont creu devoir estre et à faute de cecy voyent qu'ils se trouvent
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totalement précipités dans l'arbitrage du roy d'Espagne et de la maison d'Austriche, qui n'ayant plus à craindre la contrebalance des autres princes ne veulent desmordre rien de leurs droits et prétensions sur les 8 jurisdictions et l'Engadine Basse, ce que l'archiduchesse9 de Tyrol leur a fait sçavoir par une lettre qu'elle a fait escrire aux Grisons après le despart de leur députez10 d'Inspruck, encor que fort doucement disposent et de la relligion et de la police en ces deux provinces comme une souvairène, aussy les traitte-elle en sujectes, ce que les Engadins ne veulent pâtir ny recevoir les cappucins comme elle prétends. Mais le mal est qu'ils n'ont point de moyens pour se conserver dans leur libertez. Ils s'assembleront néantmoins en peu de temps à Coire11 pour délibérer ensemble sur cest affaire qui ne peut estre relevé que par la France, laquelle, si peut, procurant quelque réunion des églises chrestiennes, fera un oeuvre d'immortelle mémoire, encor que ie la croye fort pour difficile sans un concile général qui devroit casser celuy de Trente; autrement quelle union y-a-il à espérer avec ceux qui nous croyent estre damnez.Je demeure, monsieur,
tout le vostre
C.M.m.s.
De Zurig, ce 25 de Juin 1640.
Les Espagnols maintienent le pont sur le Po Malgré le[s] François auxquels ils coupent les vivres.
In dorso schreef Grotius (tweemaal): 25 Iunii 1640. Marin.