Monsieur,
J'appren par celle qu'il vous a pleu m'escrire du 15 de ce mois2 qu'il y a encor peu d'apparence pour le payement de mon gage, et m'estonne fort que par cy-devant m'en ayant donné tant de bonnes espérances ores vous n'en parlez plus, ce qui à la vérité est signe que tout va mal pour moy. On m'a tousjour dissuadé le voyage de Suède, mais j'eusse cent fois mieux fait, si je l'eusse fait il y a longtemps, lorsque j'estois en vigueur, car pour le moins eussé-je soulagé ma femme3 et enfans de tant de pertes par lesquelles ils sont réduits tantum non ad stipem, je me fusse aussy délivré de la despence trop grande qu'il me faut faire sur mon train et ma famille ordinaire, oultre ce que l'extraordinaire sur les correspondances et louage de la maison m'emporte. Sed sero nunc sapiunt Phryges,4 et parce que mon indisposition m'empêche de voyager trop en hyver, il faut que pour le moins je m'en retire à Benfeld soubs prétexte d'autres affaires, vous suppliant pourtant, Mon.r, d'escrire à Mon. Mukel5 qu'il m'y accom[m]ode pour quelque temps, jusques à ce qu'on me puisse envoyer mon argent, car je vous proteste devant Dieu que je ne puis plus avoir de l'argent des mes créanciers leur devant desjà environs cinq mille dalers. Il y va aussy de l'honneur de la couronne que je ne continue plus de vivoter icy en mendiant tous les jours. J'en escris à la long[u]e à M. le gran thésorier6 et vous supplie d'ex-
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cuser en Suède ma résolution que la nécessité seule m'extorque. Je suis cause de la ruine de ma femme, qui en pâtit plus de 15 m. florins, le reste de ses fonds demeure en séquestre et tous ses meubles ou vendus ou engagés. Si je pouvois faire de plus, je le ferois de bon coeur. Sed ad impossibilia nemo obligatur.Le siège de Hohetvil continue à toute oultrance et espère-t-on d'en venir à bout dans 4 sepmaines par des boules empoisonnés qu'on y veut jetter. Les impériaux soubs les colonel Spar et Neunec7 sont forts de trois mille hommes, mais ils seront renforcés par Ghil de Has8 qui y est en personne. Mon.r d'Erlach9 se trouve avec ses trouppes à Laufenburg, mais on n'a pas bonne opinion de son exploit pour plusiours raisons. Si le duc Charles10 vient en Alsace, on tient que les impériaux voudront passer le Rhin par Keuserstoul soubs la faveur des petis cantons et jetter du secours dans la Comtée,11 si messieurs les François ne l'empêchent à bonne heure.
J'y joint ce que j'ay de Rome,12 et si je m'en vay en quinze jours à Benfeld et que Mon.r Mukel voudra contribuer quelque chose à ma subsistance, je continueray de là aussy bien ma correspondance que d'icy, où faute d'argent je ne puis plus vivre avec mes gens.
Je demeure, monsieur,
tout le vostre
C. Marin mp.
De Zurig, ce 20 d'8bre l'an 1641.
On dit que Torsonson13 est mort. Jean de Vert14 est à Brisac, mais de nostre M. Horn15 on ne parle encor rien.
Bovenaan de brief schreef Grotius: Rec. 22 Oct.
En in dorso: 20 Oct. 1641 Marin.