Monsieur,
J'ay bien receu vos deux lettres du 2 et 8 du courrant2, qui me donnent bien peu d'espérance d'aucune chose pour mon advantage. Si ie vous en escris plus souvent qu'il ne faudroit, ce n'est que pour descharger mon mal dans le sein d'un intime amy que ie vous crois estre, sçachant autrement que ce n'est en vostre pouvoir d'y remédier. Voilà pourquoy que ie pren l'hardiesse de m'attacher à nos seigneurs régens3 ausquels i'escris avec toute modestie vous suppliant de leur envoyer la lettre accompagnée de vos bons offices en y faisant mettre l'inscription come il faut, moy ne sçachant bonnement la qualité qu'on leur donne et me ferez faveur de m'en instruire par le premier ordinaire. Si néantmoins vous jugez n'estre pas besoing de leur escrire, ie laisse à vostre discrétion de me renvoyer la lettre et me mander quand et quand le tiltre qu'on donne à messeigneurs les régens, car ie suis d'advis de leur escrire plus souvent et reduire à quelque prix que ce soit mes affaires à meilleur estat, ne pouvant vivoter en telle sorte come ie fais, aussy estre ma ruine.
Les Grisons ont publié un édict pour faire sortir dereschef les protestans de la Voltoline avec une clause qui tesmoigne une très grande prophanité, que n'en sortant point il sera licite aux romanistes rebelles de les tuer, sans toutes fois faire acheter leur biens. Ils s'excusent sur la crainte de n'offencer le roy d'Espagne, qui le veut ainsy et qui ayans
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offencé la France il se faut pour le moins tenir favorable l'Espagne sans avoir le moindre esgard à la conscience, à leur devoir et à ce qui en pourroit arriver du mal sur tout leur pays, que Dieu comme juste juge chastiera plus griefvement que iamais. C'est une chose bien estrange que gens de la relligion à cause d'un petit gain se laissent emporter à celle impiété comme s'il n'y avoit aucun Dieu au ciel. Sed hic fides est et patientia sanctorum.Je plaind seulement la famille de ma femme4, qui ayant maintenu sa noblesse despuis six cent années en ça et esté riche devant ces troubles de cent mille escus, elle est reduite à ceste heure à si petit pied qu'elle se voit ruinée de fond à comble par ces persécutions, surtout le dernier traitté des Grisons5 leur a donné un mortel eschec pour avoir obligé les protestans de ne prétendre rien sur les rebelles de ce qu'on leur a pris des meubles et joui de leur biens jusques à l'an 1624 ce qui est un dommage incroyable à la famille de ma femme, qui consiste encor en trois soeurs et un frère6, d'autant qu'à eux seuls on a pris plus de 30 mille escus en meubles et la moitié des fonds possèdent les rebelles, n'osant de les redemander faute de justice qui n'y est. Le reste demeure en friche et moy n'ayant point d'argens ne puis faire cultiver ce qui reste pour ma femme et sans cela personne ne l'achètera à bon prix.
Monsieur d'Erlach7 et ceux de Hohetvil ont battu quelque régimens des trouppes qui sont autour du lac de Costance en ayant tué plus de 200, autant fait des prisonniers et le reste mis en desroute dont i'attend demain plus de certitude.
On est icy fort en ombrage de ce que le pape ait donné la qualité d'évesque de Genève à monsieur le cardinal, craignant tant plus qu'on veut assiéger icelle ville puisqu'on a défendu d'y mener des vivres du voisinage de la France. Si vous en sçavez le secret, ie vous prie de m'en instruire.
Sur les affaires des Vaudois8 ie vous escriré une autre fois ayant à présent l'esprit fort troublé.
Je demeure, monsieur,
tout le vostre
C. Marin ms.
De Zurig, ce 15 d'8bre 1640.
Ap[r]ès qu'aurés leu la lettre de messieurs les régens ie vous prie de la fermer, si ce n'est que vous trouvez bon que monsieur le gran chancelier9 la lise au préallable.
Boven aan de brief schreef Grotius: Rec. 8 Nov.
En in dorso: 15 Oct 1640. Marin.