Monsieur,
Je ne vous escriray point de nouvelles que vous aurez d'autre part, mais je me contenteray de vous donner celle de mon arrivée icy en bonne santé, Dieu mercy, ayant eu le voyage assez heureux,2 horsmis quelque peu d'alarme sur l'ocean à cause de fregates de Dunkerken. Monsieur Spiring m'a traitté assez mal, ne m'ayant voulu fournir de l'argent soubs pretexte qu'il n'en avoit point,3 mais à d'autres il a dit qu'il ne sçavoit pas si en cela il feroit du plaisir à messieurs nos regens, puisque je venois à les importuner avec de
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si grandes pretensions, ausquelles on ne sçauroit satisfaire à present. Mais je ne me suis pas soucié de son refus, m'ayant pourveu en cas de necessité de tant d'argent qu'il m'en faut pour aller en Suede ou à Osnabruc, et Dieu m'a recompensé ceste mauvaise rencontre par la prompte assistance de monsieur Louys de Geer, homme autant de bien4 que l'autre est mauvais et adonné à son plaisir. Quelques-uns doubtent s'il est bien voulu en Suede, et pour moy, je ne me puis louer de ses civilités. Me voila donc icy parmy les amys et sur le point de m'embarquer vers Gottemburg sur de 4 vaisseaux bien armés que ledit sieur de Geer y envoye,5 mais je ne sçai si le comte de La Garde, bon amy de vostre maison et qui se trouve aussy bien icy, ira avec nous, aimant plustost d'aller à l'armée.6 Du reste je vous escriray de Suede.7Quant à l'Hollande, monsieur, je la trouve estre un beau pays au dehors, mais au dedans je vous asseure qu'elle est tellement contaminée de toute sorte de vices, que ceux qui y ont esté auparavant, ne la cognoissent plus, et vous vous pouvez estimer heureux d'en estre esloigné, car il y a bien peu de contentement pour ceux qui aiment la pieté et honnesteté; et pour moy, j'ayme mieux de vivre parmy les Suisses pas tant contaminés.
Je vous reccommande cy-jointes pour Zurig,8 et vous supplie de continuer en la peine qu'il vous plait prendre de recevoir mes lettres et les faire addresser au sieur Appebom, homme de bien, et avoir soing de ce qui me touche.9 A monsieur Chabreus,10 que je salue avec vostre permission tres affectueusement, je n'ay peu respondre pour ceste fois, mais vous l'asseureray s'il vous plait que j'auray soing de ce qu'il m'escrit avec autant d'affection que si c'estoit mon affaire propre. Avec cela je n'oublieray pas de faire mes reccommendations à madame vostre femme et ceux qui vous touchent, vous asseurant que comme vous avez bien sceu m'obliger, ainsi ne manqueray-je pas de le recognoistre, et vivre et mourir, monsieur,
de vostre Excellence [le] tres humble serviteur,
Charles M[arin] m.p.
D'Amsterdam, ce 4 de Septembre style nouveau 1644.
Monsieur de Geer me dit qu'en trois ou 4 jours nous serons à Gottemburg,11 d'où j'iray voir nostre monsieur Horn.12 Vous voyez, monsieur, que Dieu a voulu que je fisse ce voyage, puisqu'il luy a plu benir si avant mes intentions.
In dorso schreef Grotius: Marin, 4 Sept. 1644.