Monsieur,
J'ay bien receu vostre lettre du 1 may2 et suis fort asseuré, que s'il ne tenoit qu'à vous, ie serois desià il y a longtemps contenté par monsieur Heuf3. Il faut que i'aye patience par force en attendant avec mille peines et incommodités que le temps y remédie.
Ie vous supplie de m'advertir, quand le comte de Rosboroff4, suédois, avec d'autres gentilshommes qui sont en sa suitte seront arrivez à Paris, car ie voudrois sçavoir où est ce qu'ils passeront leur hyver pour leur pouvoir escrire et sçavoir d'eux le temps auquel ils font estat de s'en retourner en Suède.
Vous sçaurez les particularitez de la desfaite de l'armée espagnole, qu'en toutes ses circonstances est sans exemple en Italie du despuis que les Espagnols et François y ont fait la guerre5. On crie à l'arme par tout le Milanois pour le mettre en harnois contre les
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François et fait-on advancer aussy les trouppes, qui sont dans le Tyrol, Naples et en Allemagne, levées par cy-devant pour l'armée du Rhin, qui pour cest an sera libre et hors de danger, car les Espagnols tâcheront de remuer le ciel et la terre pour se revancher du souflet que les François leur ont donné en Italie.Mais si cest advis de l'advantage de nos François est nonattendus, moins y a il aussy celuy qu'on nous mande de Nürnberg de la mauvaise intelligence des électeurs avec l'empereur6 qui prétend qu'on y fait beaucoup contre son authorité; surtout Bavière fait proposer par ses députés des conseils qui sont fort préjudiciables à la maison d'Austriche, voulant qu'il soit éleu roy des Romains avant que céder l'é[l]ectorat et en récompense du palatinat, qu'il tient, il demande (?) la haute Austriche ou 13 millions d'or en argent, faute de quoy il doit avoir protesté de se joindre plus estroitement avec la France pour maintenir ce qu'il possède. Ie vous asseure bien que les Espagnols ne sont guerre contans des actions du duc de Bavière et un amy qui a esté à Inspruc m'escrit d'avoir entendu de quelques ministres de l'archiduchesse7 ces mots formels: qu'il n'y a pas longtemps que Bavière avoit crié contre les conseillers de l'empereur pour ce qu'ils conseillayent d'eschanger tant de braves officiers allemands contre un chien suédois, parlant de nostre monsieur Horn8, mais qu'à présent il se monstroit plus ennemy de la maison d'Austriche et d'Espagne que la France ou la Suède mesme. Sur les propos, que les députéz de Nürnberg pressent fort, la paix générale, ils ont dit, que les électeurs ny âme vivante ne se deussent point imaginer que les deux maisons d'Austriche et d'Espagne s'humilieroyent jusques-là que de recevoir la loy d'autruy, et qu'il pourroit arriver à Bavière de mesme come à l'électeur de Saxe9. Mais pour moy ie crois, que Bavière n'est pas si mal avec l'empereur come l'on dit et que tout cela ne se fait que pour esbluir la France et la destourner de la conjonction des protestans. Souvenez-vous que Bavière s'est monstré fort contraire et ouvertement ennemy de Fridland10, mais, lorsqu'on y pensoit le moins, ils se sont fort bien trouvé ensemble devant Norinberg contre le feu roy de Suède11 et le mesme pourroit arriver encor à ceste heur à Ratisbone, où on tient que l'empereur viendra sur la fin de ce mois. Que si Bavière y va à bon esvent et se veut choquer avec l'empereur, ce que pourtant le conseil d'Espagne ne soufrira jamais, l'empereur ne sera bien ny à Ratisbone ny à Augspurg, et Bavière aura suject de se tenir sur ses gardes, car on dit que les autres électeurs sont contens, qu'il mette la couronne impériale sur sa teste.
De la Hongrie on escrit que le palatin Esterhasy12 avec le s.r Raluy13, son complice, avoient donné ordre de tuer le prince de Transylvanie14, de suite de quoy il auroit eu un coup d'arquibusade au bras droit, dont l'homme ayant esté pris sur le fait mesme doit avoir confessé l'avoir fait d'ordre de susdits seigneurs, ce qui pourroit causer de nouvelles troubles en ce pays-là.
Le pape15 a excommunié la ville de Lucca, et Venise envoye un ambassadeur extraordinaire16 au pape pour mettre de l'eau au feu, qui s'en va embraser en Italie par ceste bataille perdue par les Espagnols.
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Je me reccomande à vos bonnes grâces et demeure passionnement, monsieur,
tout le vostre,
C. Marin m.s.
De Zurig, ce 6 de May, l'an 1640.
I'appren que monsieur le gran chancelier17 est dereschef fort malade, ce qui me met en gran peine, qui peut-estre pour cela ne puis recevoir aucune satisfaction. Ie ne sçai à quoy me résoudre et aurois besoing de vostre advis, estant impossible que ie continue icy en telle sorte come i'ay fait jusques à présent ayant à nourrir sept bouches de l'argent content, qu'il faut que i'emprunte tousiours avec mille incommodités et dommage. Si i'avois de l'argent, ie m'en irois en Suède plustost que de vivre icy et estre en dérision au monde. Mon Dieu, quand viendra ce temps que ie me puisse délivrer de mes deubtes.
Je ne sçay si ce seroit à propos d'estaler un peu mes difficultés à messieurs les régens18, puisque monsieur le gran chancelier est si fort malade.
Ie vous supplie de me mander les points que le cardinal Richelieu voudroit avoir refermés dans ces livres qu'il fait faire et par quel moyen il prétend réunir les églises chrestiennes. Car tant que le pape et la messe demeurent en estat come ils sont à présent, il n'y a aucun moyen de nous accorder avec la papauté.
Boven aan de brief schreef Grotius: Rec. 31 Maij.
En in dorso: 6 Maij 1640 Marin.