Monsieur,
Comme j'estois en peine de sçavoir le lieu ou vous vous estiés retiré depuis vostre despart de Francfort - car ayant veu lettre qui portoit que vous avec vostre famille aviés prins le chemin de Metz, je dis tout aussitost qu'on avoit pris Metz pour Meins -,2 j'en fus delivré par monsieur D'Or,3 qui prit la peine de me porter vostre lettre par laquelle je vis qu'estiés à Mayence aupres de monseigneur le chancelier de Suede,4 ce qui m'a encore esté confirmé par celle qu'il vous a pleu m'escrire du 30 du passé.5
J'ay esté bien aise que vous n'ayés pas rendu le manuscript de Bodin à monsieur Cramoisi6 et que vous l'ayés retenu, car autrement il eust couru fortune de se perdre, leurs tonneaux ayant esté ouverts, ce qui a causé que plusieurs livres se trouvent gastez et les chevaux des voyturiers pris, ce qui leur a cousté beaucoup d'argent; de quoy vous rendés raison par vostre lettre disant: militibus stipendii egenis omnem licentiam pro stipendio esse. Partant ne vous pressés poinct de le renvoyer, estant mieux en vos mains qu'ez miennes. Mais j'aurois l'accomplissement d'un grand souhait si quelque bon affaire vous ramenoit par deça. Comme je m'estois rejouy d'avoir eu la troisieme edition de vostre livre de
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Religione,7 aussi ay-je esté fasché que par la negligence du libraire il s'y soit coulé de nouvelles faultes; cela est commun presque partout.Pour ce qui est de l'unction dont nous avons desja parlé par nos precedentes,8 nous sommes desja d'accord pour ce qui est de la fin, car comme vous n'avés autre dessein que de chercher et trouver la verité, aussi ne desiré-je autre chose sinon que la verité vainque. Les diversités qui se trouvent dans les ecritz des Peres en ces matieres portent une grande obscurité et il est malaisé d'y asseoir aucune certitude. Ce qui me retient davantage en mon opinion est que les anciens et mesmes Tertulian, duquel je fais grand estat, n'ont pas parlé de l'onction comme d'une chose recente et qui eust esté instituée de leur temps, mais comme d'une chose qu'ilz trouvoyent desja instituée dans l'eglise. A tout cela je feray fin par ces trois beaux motz que j'ay trouvé dans les oeuvres de Dominis: in necessariis unitas, in non necessariis libertas et in omnibus charitas, lesquelz si on practiquoit nous ne verrions tant de differentz en nostre religion.9
J'ay veu icy trois advis donnés par trois evesques d'Angleterre pour l'accord[ement] entre les confessionistes et evangeliques, dont j'ay trouvé le premier fort bien faict, et cela ayant esté imprimé en Alemagne vous le devés desja avoir veu.10 Je n'ay peu recouvrer ce que vous m'aviés escrit de Georgius Calixtus,11 bien que j'en eusse donné memoire au s[ieur] Cramoisi. J'ay faict veoir à monsieur Bignon les lettres qu'avés escrit tant à monsieur de Saint-Sauveur12 qu'à moy, et l'ayant adverti du despart de messieurs vos ambassadeurs13 il m'a envoyé l'incluse et monsieur Bergeron14 m'ayant envoyé des champs celle qu'il vous escrit en response de la vostre vous la recevrés par mesme moyen. Monsieur Des Hayes n'est icy, estant encore à Montargis.15 Quand il sera de retour, je luy feray veoir
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la souvenance que vous avés de luy, et quand monsieur Bergeron sera revenu je ne manqueraiz à faire mon proffict de l'advis, que vous me donnés, pour le porter à nous donner tousjours quelque chose. Je voudrois bien que vous en penssiés faire autant envers monsieur Skika(rd), afin qu'il continuast ce qu'il a commencé en ce livre de Rebus Persicis et ces Genealogies de Tartarie qu'il avoit promis.16Je ne sçay qu'on vous escriré de ce qui se passe par deça. L'on continue tousjours à exorciser ces religieuses de Loudun, qu'on dict estre possedées, dont je me rapporte à ce qui en est.17 Si je pouvois vous faire veoir ce que j'en ay escrit à la main, vous vous en estonneriés. Monsieur, frere du roy, est à Orleans,18 où le sont allés trouver le pere Joseph capucin,19 les peres Maillan confesseur du roy20 et Rabardeau21 jesuites, le pere Gondran, general des peres de l'Oratoire et confesseur de Monsieur,22 et messieurs Ysambert et L'Escot, docteurs de Sorbonne,23 pour parler de son pretendu mariage.24 Ilz ne sont encore de retour et partant l'on ne sçait ce qu'y ont faict. Voz ambassadeurs s'en retournent d'icy fort satisfaictz, comme on dict.
Dieu par sa grace nous deint faire une vraye paix et à vous tout le bien que vous peut souhaitter celuy qui sera tousjours, monsieur,
vostre tres humble et tres affectionné serviteur,
Jeh. de Cordes m.p.
De Paris, ce 9e Novembre 1634.
Adres: A monsieur/monsieur Grotius, à Mayance.