Monsieur,
Vos deux lettres l'une du XXV et l'autre du XXXI Janvier2 m'ont esté livrées hyer au soir. Mais le livre que vous me dites m'avoir esté envoyé par monsieur Reigersberg3 n'est pas encor venu. Je ne sçay de quoy il tient.
Les raisons que vous escrivez pourquoy son Altesse4 ne doibt pas aller en France sont fort apparentes selon le iugement de tous ceux qui s'y doibvent entendre. Elle va faire un voyage à Brisach en deux ou trois iours et croy qu'elle y fera mener dix à douze mil sacs de bled de ce pay icy où nous en avons grand quantité.
Ce qui semble faciliter ce dessein est la rivière d'Are qui court depuis Neufchâtel qui n'est qu'à sept heures d'icy iusque dans le Rhin pas loing de Lauffenburg.
C'est qui appelle son Altesse à Brisach ou pour le moins en Alsace est la mort du colonel Quernheim5 qui estoit gouverneur de Benfeld pour la reine de Suède6 de sorte que ie croy que ladite Altesse y va mettre un autre gouverneur, laquelle place ne s'accordera pas mal avec Brisach.
La pluspart de nos troupes sont entrez en quartiers d'hyver lesquels ne sont pas des plus meschants pour cette année.
Son Altesse mesme a son quartier icy à Pontarlier qui est une assez belle ville; nous ne sommes que huict heures de Besançon.
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Le comte de Guébriant7 est à Noseroy qui appartient au prince d'Orange8, mais a esté confisqué pour la contrariété du party et a esté donné au feu comte Jean de Nassau9.
Le bruict court depuis quelque peu de iours que le duc Charles10 s'en est allé en Flandres et que ce qu'il luy reste de troupes va hyverner sur les frontières de Luxemburg, où on croit qu'ils feront fort maigre chère. Si l'armée qui vient les François se servent de la belle occasion qu'il[s] ont il y [a] apparence que la Franche Conté est perdue, Dôle et Gray estans sans vivres depuis que nous avons pris ce pay icy d'où ils tiroyent tout leur entretien. Besançon meurt de fain et seroit bien aise que nous en approchasmes avec l'armée.
Les paysans de ce pay icy se défendent contre les Lorrains opiniâtrement et les tuent et assomment là où ils peuvent, et sont for bons compagnons avec nos gens. Le seul nom des Lorrains leur est plus odieux que celluy des Turcs aux Chrestiens. Aussy en ont-ils esté escorché d'une estrange façon.
Je ne manqueray pas de vous advertir de tout ce qui se passera demeurant cependant, Monsieur,
Vostre très humble et très obéissant fils
D. de Groot.
Pontarlier, le fevrier 1639.
Je n'ay entendu aucunes nouvelles de mon frère11.
Adres: Monsieur Monsieur l'Ambassadeur de Suède. Paris.
In dorso schreef Grotius: 7 Febr. 1639 D. de Groot.
En boven aan de brief: Rec. 22 fevr.