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Monsieur,
Ie voy par la vostre du 15 courrant2 que les descontes ne sont pas encor arrivées, dont ie suis fort marry et trouve fort estrange que durant si long temps on ne les aye pas encor et si elles tarderont à venir, ie vous prie, monsieur, de disposer le sieur Heuf3 qu'il m'assiste encor de deux cent dalers; car de partir d'icy sans ordre ie ne le fairay que par nécessité nécessitante n'estant trop bien dispos à faire si gran et fâcheux voyage qui me porteroit plus de dommage en tout que du profit.
On nous mande d'Italie la réconciliation du pape4 avec les Vénétiens, qui envoyent un ambassadeur extraordinaire à Rome5 pour traitter une plus estroite conjonction ensemble, à laquelle on tâche aussy attirer le gran duc de Toscane6.
Vous sçavez que le pape a nomé trois nunces7 pour disposer l'empereur8 et les rois de France et d'Espagne9 à la paix, poussé à cela des Vénétiens, qui par l'esclat d'un tel envoye croyent pouvoir espouvanter le Turc10 afin qu'il soit retenu de leur faire sitost la guerre.
Les Grisons font continuellement des assemblées pour aller prendre la possession de la Voltoline, mais les chefs commencent à se partager et bander tantost d'un, tantost d'autre costé; cela ne me fait espérer rien de bon de leur intention qui est sans ordre et conduite et forces requises en telle action, et toutes et quantes fois qu'ils entreront dans la Voltoline, les habitans d'icelle menacent de s'opposer à eux avec armes, ayant en despit d'eux tué n'aguerres un gentilhomme de la maison de Malacrides11 protestant et aagé de 70 ans, disans qu'il faloit ainsi faire à tous les luthériens. Ce qui me fait croire, que l'Espagnol y consent soubs main, n'osant autrement entreprendre d'eux mesmes telles actions.
Les petis cantons ont refusé la levée que l'ambassadeur de France12 a demandé s'excusans sur le peu de gens qu'ils ont dans le pays, où néantmoins l'Espagnol fait ses levées.
Un des senateurs d'icy13 ayant esté saisi de melancolie s'est donné trois coups de cousteau dans le ventre dont il mourrut dimanche passé, et n'a peu dire sur ce fait autre chose que d'avoir esté sooul de sa vie ayant desià vescu 70 ans.
On nous mande que les Hollandois ont esté battus en Brasil et que la flotte des Indes est attendue ce mois de Mars en Espagne, sans que les Hollandois le puissent empêcher. I'ay veu aussy d'autres lettres, la confirmation de ce que
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m'avez mandé de l'Angleterre, a qua nunquam quicquam boni pro nobis multas ob causas expectare potui, et par le passé il faut juger de l'advenir, et croire que Dieu chastie finalement ceux qui font son oeuvre frauduleusement, et ne secourent point ceux ausquels ils sont par tant de biens obligez et lesquels ils aident à opprimer, puisque selon le dire des sages non tam is qui redigat alium in servitutem, sed is qui cum possit hoc prohibere contemnit id facere, existimandus est.Banier14 a passé l'Elbe mettant gran espouvant à l'électeur de Saxe15 et à ses voisins.
Dieu l'assiste d'avantage et vous maintiène quand et quand en sa sauvegarde et moy en vostre bonne grâce qui suis véritablement, monsieur,
Vostre serviteur
C. Marin.
De Zurig, ce 21 de Febvrier l'an 1639.
In dorso schreef Grotius: 21 febr. 1639 Marin.