Monsieur,
Puisque ie voy par la vostre du 15 courrant2 que désirez tant d'apprendre le jugement qu'on fait des traittez de Brisac, parmy ces peuples icy, ie vous envoye cy-jo[i]nct une copie de ce qu'on a fait imprimer publiquement à Costance3 et qui court desià par toute la Suisse, qui pour dire la vérité désadvoue grandement qu'on ait donné Brisac à la France qui par ce moyen pourra tenir en bride non seulement les Allemans, mais aussy les Suisses qui y sont autant intéressés.
Vous sçavez qu'il ne faut jamais prendre de médecine plus gagliarde qu'on ne puisse supporter, et quand nous combattons la maison d'Austriche il le faut tousiours faire en sorte que nous n'aggrandissions trop la France, qui sans Brisac a assez profité de ceste guerre d'Allemagne, ayant par les armes de Suède gagné la Lorraine, l'Alsace et tient en son pouvoir la Bourgogne et ce n'est pas sans raison qu'en Italie on dit communément i Suedesi cacciano la lepore et i Francesi la pigliano. Mais le principal consiste dans la conservation de l'acquist, qui à mon advis sera bien difficile, estant vraysemblable que la maison d'Austriche faira plustost quelque coup non attendu avec la Suède et les Allemans que de permettre que la France conserve pour soy Brisac avec le reste qu'elle possiède des pays d'autruy.
Tous nos Suisses entrent en grande jalousie à cause de ce Brisac, et s'estonnent que les chefs vinariens mesmes font des traittez sur ce suject, qui sont entièrement préjudiciables à leur patrie et lesquels ils n'ont eu pouvoir de ratifier sans en demander au préallable advis de la Suède, estans obligez par leur serment à la confédération de Heilbrun encor que pour le présent fort deschirée, aussy ne puis-ie croire que monsieur l'électeur palatin4 eust jamais accepté ces traittez, ce que sçachant les ministres de France il ne faut pas trouver estrange s'ils l'ont arresté et mis au Bois de Vincence, come que desià du temps du feu duc Bernard5 craignoyent le troisiesme party que l'Angleterre par son moyen a voulu former en Allemagne pour contreguerrer la France.
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Mais surtout nos cantons romanistes en sont en alarme, estant à craindre qu'au prinstemps ils ne se remuent en faveur de l'Austriche qui fait des levées de tous costés pour former une armée considérable auprès du Rhin, pour l'entretien de laquelle l'Espagne doit boursiller les despences. Exitus acta probabit6.
L'ambassadeur de Savoye7 n'ayant peu en aucune façon impérer le chastiment du colonel Amrin8 qui a si vilainement trahy madame de Savoye9 et appellé au conseil général des Suisses come le verrez par cy-joincte copie, que ie vous supplie d'envoyer ensemble avec cest escrit Allemand en Suède n'ayant eu loisir de vous en donner des copies a part.
Nous nous resiouissons tous de la prospérité de Suède, qui à la vérité fait des actions bien grandes, mais le mal est come vous dites que l'argent qu'ils prenent de tous costés ne vient pas jusques à nous; surtout moy suis à plaindre qui ayant si peu de gage qu'on m'a promis de payer exactement il faut qu'il demeure tousiours en arrière pour quasiment deux ans avec mon incroyable dommage auquel on n'a point d'esgard. Ie voudrois pourtant sçavoir si monsieur Heuf10 est pour parachever mon change ou non, ces deslais estans trop longs et insupportables et s'il ne me peut contenter en tout il seroit raisonable qu'il le fait par parties qui me viendront aussy bien à propos parmy la cherté qu'avons icy de toutes choses dont le prix se hausse iournellement par l'avarice des Suisses qui ne font pas autrement come s'ils eussent desià enduré une guerre de vint ans dans leur pays, tant surfont-ils les moindres choses.
Ie vous supplie d'y travailler au plustost, quia damnum meum in mora est, et ie vous en auray obligation perpétuelle et seray toute ma vie, monsieur,
Vostre redevable
Marini.
De Zurig, ce 21 de 9bre 1639.
Boven aan de brief schreef Grotius: Rec. 19 Dec.
In dorso: 21 Nov. 1639 Marin.