461
Je vous diray pour cette fois que Jeudy dernier - 28 Janvier - son Altesse partit de Delmont2 avec ses gentilshommes et aultres esleus de sa court pour aller aux chasteaux de Peffinguen et Angelstein,3 les clefs et premiers passages de la vallée de Lauffen et Delmont, où son Altesse avoit desja assigné à ses gens commendez tant de cavalerie que d'infanterie le rende[z]-vous. Son Altesse, après y avoir fait le reglement de la marche et tout mis en ordre, partit la nuict suyvante avec sesdits gens commandez, accompagnez de 5 ou 6 chariots chargez d'eschelles, petards, grenades et aultres munitions de guerre et fit tant ceste nuict-là que le lendemain à la poincte du jour elle arriva sur le bord du Rhin une heure au-dessous de Lauffenbourg, où il y a vis à vis une petite ville au dela le Rhin, nommée Segguinguen.4 Son Altesse pensoit aller plus avant cette nuict-là, mais les grands tours qu'elle avoit à faire et la difficulté des passages l'empescherent. Voyant donc ses trouppes harrassées et defatiguées du chemin et du froid les logea là alentour sur les plus proches villages et en attendant leur refraischissement son Altesse fit raccommoder 2 petits batteaux, lesquels estants liez ensemble on pouvoit passer là-dedans 8 ou 9 personnes.
Sammedy le 30 son Altesse fist mettre lesdits 2 petits bateaux 3 ou 4 portées de mousquet au-dessus de la ville de Seggingen, en un endroit où ceux de la ville n'en pouvoient rien voir, et commença à faire passer les mousquetaires, eschelles, petards et aultres choses necessaires. 80 ou 100 hommes passez, son Altesse leur commenda d'aller attaquer ladite ville de Seguinguen et au mesme temps tascher de se rendre maistres des batteaux et d'un bac qui estoit retiré sur la terre devant la porte de cette ville, ce qui reussit à souhait. La ville et la pluspart des batteaux furent gaignez, mais le bac, qui estoit nostre principal poinct, avoit esté percé, afin que nous ne nous puissions servir à nostre avantage. Or il le falloit promtement refaire, en quoy se passa une heure et demie. Le voila sur le Rhin. Le regiment de Rose5 y passa dedans au dela du Rhin, en quoy faisant force infanterie estoit desja mis au dela dans les petits batteaux. Alors son Altesse jugea le temps à propos et voyant qu'il y avoit 2 ou 3 heures de nuict fist marcher le colonel Schombek6 plus hault au dela du Rhin vers Lauffenbourg, qui est 2 heures de chemin de là, avec 200 mousquetaires et utils necessaires à une entreprise, supportés du regiment de cavalerie du colonel Rose, et elle fist le mesme avec le reste au deça, qui fust Dimanche vers le matin. Ils estoient de 2 costés devant la ville - car le Rhin passe par le millieu -; les signes donnés, le colonel Schonbek y fist opposer un petard qui joua tres bien et ouvrist la porte, où il entra sans perdre un homme, nonobstant que la salve estoit assez chaude. Ce n'estoit que la moindre chose; encor il y failloit gaigner la principale partie de la ville, qui est en deça et avec celle le pont. Mais le froid7 qu'avoit pris ceux qui estoient dans ladite ville, les fist
462
ouvrir la porte. Car en deça les escalades et petards ne pouvoient rien faire. Voila donc la place en nostre main.De quelle importance cette ville, pont et passage sont, jugerez vous-mesmes. En mesme instant son Altesse fist passer par-dessus le pont le colonel conte de Nassau8 avec son regiment, lequel incontinent joignist le colonel Rose et s'en allerent vers la ville de Waldeshaut,9 de laquelle ils se rendirent aussy maistres et y sont encores. En leur chemin ils rencontrerent 2 compagnies de cavalarie, qui furent defaites et la pluspart pris prisonniers. Elles venoient pour se jetter dansdit Lauffenbourg, mais ce fust trop tard. Un regiment d'infanterie les suivist, qui fust de mesme rencontré par les nostres, mais en un lieu desavantageux pour nous, où il estoit impossible de le ruiner. On le poursuyt neantmoins encor, dont nous attendons nouvelles.
Bovenaan de brief staat: A Stein,10 le 1 Fevrier.11
Adres: Pour monsieur l'ambassadeur Grotius.