Monsieur mon très hohoré amy,
Il y a 3 ou 4 iours qu'on m'a rendu vostre lettre du 1 de May2 ordine prae-
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postero aprèa la reddition de celles du 83 et 15 de mesme mois4, et parce que ie vois par celle-là que vous m'estez pas bien informé de mes affaires, ie vous diray come à l'instance de monseigneur le gran chancelier5 qui après la bataille de Nordlinghen avoit appréhendé la rupture entre la Suède et Poulogne, ie me suis obligé à faire un voyage à Constantinople pour les intérests de la couronne, et devant que l'ordre m'en fust envoyé l'attendre cependant en Suisse et en Voltoline pour y continuer ma résidance que ie soustien cinq ans entiers, pour l'entretien de laquelle ie n'ay point demandé que cent risdalers par mois, somme fort petite, payables chaque six mois ou plustost avec beaucoup d'autres promesses d'une bonne récompance à la fin.Or tant s'en faut qu'on m'ait envoyé jusques à cest'heur aucun ordre ou responce sur le fait de ce voyage que le sieur Haga6 a tant sollicité, en ayant piéça conforme les lettres de la part du gran chancelier à luy escrites, fait ouverture à la Porte qui à telle fin avoit envoyé il y a un an les passeports à Venise: qu'on ne me paye mesme mon gage qu'on me doit pour deux ans entiers, sans avoir nul esgard avec quelle despence i'ay entretenir ma résidance tant en Voltoline qu'icy, oultre les pertes et malheurs qui à cause de la révolution des Grisons me sont survenus, de façon que i'eusse plus que raison de partir d'icy et pourvoir à mais (!) affaires mieux que ie n'avois pas fait. Mais n'osant pas offencer mons.r le gran chancelier qui veut que ie ne bouge point d'icy sans ordre, ie continue toutesfois à l'attendre à mon très gran desadvantage abandonant pour amour de mon prince que ie tâche de servir avec toute fidélité possible, les propres intérests de ma femme7 en Voltoline, conforme ce que i'en ay escrit piéça à messieurs Strasburg8 et Müller9 et n'a gueres au gran chancelier mesme, vous suppliant au surplus mon.r qu'il vous plaise aussy de vostre part.
Toutes ces choses à son excellence, estant contre toute raison que moi qui sois d'une si gran affection la couronne de Suède, et cause de ma fidélité suis menacé du party contraire, sois néantmoins si mal payé, surtout en Suisse où toutes choses sont bien chères et ne puis-ie entretenir un serviteur qui ne me couste deux cent dalers au moins par an, sans dire mot de ce que m'emporte la famille, le louage de la maison, correspondances et autres infinies choses que par expériance vous pouvez bien croire.
Le résidant Mukel10 m'escrit bien qu'il a ordre de me payer mon gage, mais jusques à cest'heur il ne m'en envoye point conforme sa promesse, et les rentes qu'il tire d'alentour de Benfeld estant à cause de la guerre incertaines, ie crain qu'il ne me sçaura envoyer gran chose de façon qu'il seroit plus que raison que luy me manquant on me pourvoist d'ailleurs par quelque change par la voy d'Hollande.
Tous les ministres qui sont icy sont pourveus de tout, moi seul suis abban-
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donné faisant tout le iour de plus gran deutes pour maintenir ma charge dignement, entretenant pour l'honneur de la couronne trois personnes, un escrivain et deux valets qui me coustent bien cher sans dire mot de la femme et les servantes. A la vérité c'est un gran malheur pour moy que ie ne puis habiter à Gresons au voisinage de Chiavene dans la province de Pergal car estant plus proche de la Voltoline i'y pourrois faire cattiver les biens de la femme qui sont en friche et en tirer un gran secours pour mon entretien oultre que la Voltoline est un pays délicieux, l'air et le vin plus sain et la conversation meilleure que parmy les Suisses qui sont un peu lourds et qui a nobis ministris regiis, quos aurum egerere putant, duplicata rerum omnium poscunt pretia.Mais à cela il ne faut que ie pense tant que la paix générale ne se fait et que les Grisons demeurent soubs la dévotion d'Espagne qui jusques à présent les tient par force et par la douceur de ses doublons que ces gens-là aiment, nonobstant que les communautés au desceu desquelles on fait tout soyent fort desgoustés quant à la Voltoline mais n'ayant point d'appuy elles ne peuvent rien contre leurs chefs qui seuls ont trainé cest'alliance avec leur plus gran ennemy.
Ce néantmoins les ambassadeurs11 qui sont en Espagne ont ordre de retourner au plustost au pays en concluant les traittés pour le moins in civilibus s'ils ne pourront rien obtenir pour la liberté de la religion en Voltoline où il semble que les protestans n'auront mesme l'habitation libre.
Contre tout cela s'opposent les ministres Grisons, mais ils n'ont point d'adhérance pour opprimer la faction contraire, si Dieu ne leur en envoye d'autre part.
Monsieur de Veimar12 s'est campé au dessoubs de Brisac en un lieu fort advantageux, pour empêcher le secours d'iceluy à Göz13 qui doit avoir passé le Rhin et assiège Haghenau pour divertir les nostres, encores que les autres advis portent qu'une partie de son armée se tient auprès d'Offenburg avec deux cent chariots de vivres pour les mettre dans Brisac si eux mesmes ne les consumeront, estant fort pressés par la disette.
Ayant escrit jusques icy ie vien de recevoir vostre lettre du 14 de Juin14 qui me resiouit à cause de monsieur Muller qui est chez vous et les salue très affectueusement de ma part, espérant qu'il fera conforme mes lettres.
Quant à ce que vous dites que le roy d'Espagne15 est pour acheter les biens de protestans en Voltoline, ce n'est qu'une tromperie, car il leur en voudroit donner une bagatelle à condition qu'ils renonçassent à iamais de venir à la patrie et aidassent à payer les deutes des rebelles dont le traitté de France les a exempt s'en allant ainsi à mains vuides, à quoy on ne consentira iamais, et la seule maison de ma femme a à prétendre plus de 30m escus que l'Espagnol ne nous voudra desbourser.
Verceil est aux aboix y ayant à ce qu'on escrit peu de gens et de munition.
Je demeure, monsieur,
Vostre serviteur très humble
Marin.
De Zürig, ce 14/24 de Juin 1638.
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Boven aan de brief schreef Grotius: Rec. 8 Iuly.
In dorso: 24 Iunij 1639 (! ) Marin.