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Mercredi le 19 juliet.
Estans venus à passer le village Chaltou nous treuvâmes le chemin par où on passe d'ordinaire tout bouche de monde à cause qu'on y exécutoit des volleurs.
Voyant qu'il n'y avoit point moyen de faire tourner le carosse et qu'il falloit passer de nécessité la presse, les valets de près de monseigneur l'ambassadeur2 taschèrent de faire ranger le monde dont l'un ajant esté rudement repousé mit l'espé a la main le monde ajant pris l'espouvante se recula et le carosse treuva moyen de passer.
Estant venu jusques au pont, la porte nous fut fermée et en mesme temps les archiers suivis de la populace vindrent fondre sur nous, arraschèrent les laquais du carosse, encore qu'il n'y eust qu'un seul valet qui avoit tiré son espé, les uns les voulans mener prisonniers, les autres les voulant tuer, mesme tirèrent sur le page divers coups de pistolet, qui estant à cheval n'y l'estoit pas mellé non plus que les autres laquais.
Leur insolence fut si grande non obstant toutes les remontrances que nous leur fîmes, savoir qu'ils portassent du respect à monseigneur l'ambassadeur de Suède qu'il s'en plaindroit autrement au roy3 ils ne laissèrent pas de s'attacquer à nous qui estions dans le carosse, de tirer de coups de pistolet, de frapper à coup d'espé de sorte que l'un des gentils-hommes eut le chapeau persé de deux balles, qu'un autre coup passa travers le carosse à deux pas de monseigneur l'ambassadeur que le coscher receut deux balles dans les reins dont il mourut mercredi après le 21 de juliet et ajant esté ouvert le mesme jour, on treuva les deux balles dans son corps qui sembloient estre d'un pistolet4 et fut jugé par les cherugeans que ce coup lui avoit causé la mort.
Pendant5 cette rage la porte fut ouverte et prit-on le chemin de Ruelle. En chemin nous fûmes dévancés par deux cavalliers qui se disoient estre pour nous et s'en allerènt à toute bride à Ruelle, là où estant arrivez le bruit recommança à cause qu'un valet à nous incogneu6 emmenant son cheval qui avoit receu un coup d'estramaçon sur la hanche, treuva d'assistance de deux hommes qui avoient la mine d'estre soldats et quelques autres gens qui commençoient à ammaser des pierres. Ceux-cy se vindrent ietter sur nos laquais à dessin de les tuer, de sorte que
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nous fûmes contraint de sortir du carosse pour appaiser cette émeute, ce qu'ajant aucunnement faict monseigneur l'ambassadeur nous commanda de ramonter en carosse et nous nous allâmes à Paris.In dorso schreef Grotius: 14 julij 1638 violata legatio.
Environ le 8 de Juillet il y avoit quelque bruict que le roy vouloit aller en Picardie, laquelle résolution un peu après a esté quittée et depuis reprinse. Monsieur Giraud7 me fist sçavoir le bruict avecq offre de m'aider à obtenir un audience du roy, si ie voulois. Ie luy fis dire que, si le roy partoit, je seroy bien aise de pouvoir souhaitter un bon voiage à sa maiesté.
L'onzièsme monsieur Giraud me fist dire que le roy ne partoit point, mais toutesfois si je voulois avoir une audience qu'il me la vouloit procurer. Ayant appris les bonnes nouvelles des succès sur les frontières d'Espagne, je fis dire à monsieur Giraud que je seroi bien aise d'avoir l'honneur de faire la révérence à sa maiesté.
Le mercredy qui estoit le 14me monsieur Giraut me fit sçavoir à l'heure du lever que, si je voulois voir le roy, il falloit partir à neuf heures pour ce que le roy vouloit au lendemain aller à Versail, là où sa Maiesté ne donnoit point d'audiences. Je luy fit dire que j'en estois content et fis revenir mes chevaux qui estoient sortis, qui estoit la cause que nous partismes un peu plus tard et arrivasmes à S.t Germain à l'heure du disner du roy. Après lequel disner j'eu une audience favorable du roy et présentai monsieur Crusen8 pour prendre congé du roy comme voulant retourner en Suède.
L'audience estant achevée je priai monsieur Giraut pour disner avecq moi; lequel après nostre disner me dit vouloir retourner à Paris avecq moy, mais me pria de luy donner un peu de temps pour voir la reine9. Je l'attendis environ l'espace de deux heures et nous estant mis en chemin arrivasmes à Chatou entre cinq et six heures, justement en un temps qu'on exécutoit par la roue deux voleurs. De ce qui s'est passé là scauront rendre meilleur tesmoignage ceux qui ont esté à la portière, moy ayant esté à l'arrière de la carosse.
Op de achterkant: Monsieur Giraut alla avecq moy à Paris et souppa avecq moi; et estant en mon logis quelque personnes vindrent parler à luy sans que je sceusse quelles gens s'estoient.
Les jours suivants je n'apprins rien. Mais le 16e de Juin me vint voir de la part du roy le comte de Bruslon10, un des conducteurs des ambassadeurs, et me dict que le roy estoit marry de ce qui m'estoit arrivé et si je cognoissois ceux qui en estoient coulpable qu'il me vouloit faire avoir justice. Ie dis que je ne cognoissois pas leurs noms, mais si noz gens le voyoient qu'ils le cognoistroient fort bien.
Après, le 19e est venu à moy monsieur de Berlise11, autre conducteur des
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ambassadeurs, tesmoignant, plus amplement le regret que le roy avoit de ce malheur, comme aussi monsieur le cardinal12 et que le roy avoit donné ordre à monsieur le chancellier de France13 de s'en informer et qu'ils me vouloient faire avoir pleine satisfaction, mesme faire pendre devant ma porte ceux qui en estoient coulpables. Je luy dis que je n'estois pas désireux de vengeance, mais que pour ma sécureté et pour celle des autres ambassadeurs qui sont ou seront, je trouverois fort bien qu'on fist quelque démonstration du desplaisir que le roy en avoit receu. Que tant j'estois esloigné de souhaitter que l'affaire fust démeslé par la rigueur, que j'estois résolu quand l'affaire seroit en ces termes-là d'interceder mesme pour les coulpables.