Monsieur,
Vostre lettre du 23 passé2 m'apporte la confirmation de ce qu'avons eu de
768
Hamburg d'un nouveau party qui s'est dressé en Allemagne et lequel sans le roy de Denemark3 feroit peu redoutable, les autres estant quasi tous ruinez par la guerre. Dieu veulle qu'on ne cerche soubs ce prétexte de s'attacher à nous, iceluy roy estant fort ialoux de la grandeur de Suède et à Vienne on s'en vente qu'il fait tout en faveur de l'empereur4 et mesmes que la garnison de Varnemont s'est retirée dans ses navires qui y estoyent prochez. C'est un jugement de Dieu qui frappe d'esprit d'estourdissement les actions des protestans qui par leur détestables desunions et ialousies s'attirent à gran pas la servitude d'Austriche sur leur testes. Ie veux pourtant croire que les Estats de Denemark empêcheront que la déclaration du roy n'esclate plus avant contre nous.Cependant il faut confesser que nostre brave duc de Veymar5 a fait un gran coup d'estat d'avoir forcé ceux de Brisac à luy rendre la place à discrétion en estant sortis dimanche passé avec bagues et armes seulement et deux pièces de canon pour estre conduits en sauveté jusques à Philipsburg. Vous en aurez eu plus de particularitez que nous attendons demain s'il plaist à Dieu lequel il faut louer d'une si grande bénédiction espandue sur nous cest'année, et qui à la vérité met en gran espouvante et les Grisons et ceux du Lac de Constance qui craignent d'estre bientost attaqués, sçachant que la raison de guerre ne permettra pas au duc de s'esloigner trop de Rhin, tant à cause de son advantage qu'il tire de la Suisse que pour défendre les villes forastières, que les impériaux tâcheront emporter devant que réassiéger Brisac pour tailler aux nostres la commodité des vivres qu'ils reçoivent de ce costé-là. Götz6 commande l'armée impériale qui se tient auprès de Villinghen en attendant Piccolomini7 avec ses trouppes.
Au reste, monsieur, ie vous envoye icy ma main sousignée pour y faire mettre récépissé, mais ie vous supplie de ne le donner au sieur Heuf8 qu'au préallable il n'ayt desboursé l'argent, et que vous n'ayez advis de moy que ie l'ay receu icy, et ne le pouvant faire sistost ie voudrois qu'il me fust desboursez icy par advance 4 ou 500 dalers pour les employer en ma nécessité pressante, estant tout à fait sans moyen.
Par le prochain ordinaire ie vous envoyeré des particularitez de Rome lesquelles en attendant ie prie Dieu qu'il vous maintiène en sa sainte garde et moy en vostre bonne grâce qui suis si passionément, monsieur,
Vostre serviteur de bon coeur
C. Marin.
De Zurig, ce XIII/XXIII de Xbre l'an 1638.
Le canton de Berne s'est bien mérité de la France pour avoir si bien servy des vivres le siège de Brisac, la reddition de laquelle place disposera aussy à mieux faire les autres cantons protestans qui nous sont bien affectionés, mais la crainte de l'advenir les retint trop irrésolus.
In dorso schreef Grotius: 28 Dec. 1638 Marin.