Monsieur,
L'ordinaire passé ne m'a rien apporté de vous, ce qui me met bien en peine, craignant que le payement de l'argent que le sieur Heuf2 me doit ne se prolonge encor d'avantage, vos deux sepmaines de terme estant desià passées et la troisième s'en va finir, à mon gran regret, qui suis icy enveloppé parmy tant de difficultés. Je me console néantmoins que le samedy prochain auquel iour vint l'ordinaire de France m'apportera quelque bonne nouvelle que i'atten avec impatience.
Thurin est bien pressé par le prince Thomas3, et ailleurs Pondestura et Villeneufe auprès d'Asty pris, et Moncalvo assiégé, les Espagnols tenant par ce moyen bloqué Casal et par eau et par terre et si est ce néantmoins que nous ne sçavons que les François facent gran résistance ayant tant d'ennemys au dedans et dehors.
La peur que ceste diversion n'empêche l'avancement de monsieur de Veymar4 en Allemagne, car les François estans une fois battus en Piedmont on en pourra envoyer 6 ou 8m hommes par la vallée d'Avost en Bourgogne et en mesme temps les impériaux d'un costé et les petis cantons de l'autre par la Suisse, qui hormis Berne ne leur disputera trop le passage.
D. Sormiento5 est à Friburg y attendant 3m Suisses que les alliez avec Espagne ont promis à condition qu'on leur donne six mois de paye par advance et que pour les Bernois ils ayant un libre passage vers la Bourgogne en quoy les Espagnols travaillent à cest'heur tant qu'ils peuvent.
Les Grisons ne veulent permettre que leur gens qui sont dans les forts de
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Rhin passent dans le Milanois conforme ce qu'on les en recerche dont les Espagnols sont fort dégoustés et Leghanes6 les menace de ne vouloir plus payer leur trouppes. Les deux agents7 aussy qui sont à Coire sont si mal avec eux qu'un d'eux nommé Casati a dit tout haut vouloir plustost avoir à faire aux Turcs qu'aux Grisons qui par tant de despits receus des Espagnols panchent à un soulèvement général dans le pays quelques ans conseillant de séquestrer ces deux agens tant que leur[s] ambassadeurs8 ne sont de retour car on les détient dereschef soubs d'autres prétextes à Barcellone. Il seroit temps que la France fait revivre sa faction, au moins pour faire une diversion en la Valtoline, qui soulageroit un peu le Piedmont. Mais ie ne sçay d'où vint que chez nous tout va si lentement, en donnant loisir à l'ennemy de se servir du temps que nous devrions employer à nostre advantage.Ie vous baise les mains et demeure, monsieur,
le vostre
Marini.
De Zurig, ce 2/12 de May 1639.
A Ravensburg se trouvent beaucoup des officiers impériaux consultans ensemble des affaires du Rhin. On dit que Göz9 y doit estre amené pour luy faire son procez devant l'armée, si la desfaite de Marazin10 n'en empêche l'execution.
I'atten de vous la suitte des affaires en Angleterre et si nous sommes bien ou mal avec elle pour sçavoir come me comporter envers le résidant Olivier11 qui sera de retour icy, estant autrement fort mal affectioné contre nous.
In dorso schreef Grotius: 12 May 1639 Marin.