Monsieur,
J'ay receu la vostre du 5. courrant2 par laquelle vous me confortez de bien espérer, ce que ie suis contraint de faire et cependant pâtir l'incommodité que d'ordinaire le manquement d'argent et la difficulté d'en emprunter ailleurs appâte. Ma femme3 fera ses couchées en peu de iours et ayant sans cela à nourir plus de sept personnes vous pouvez juger en quel estat que ie me trouve et n'eusse jamais pensé que monseigneur le gran chancelier4 me deust abbandonner de telle façon sçachant en quelle disgrâce nous ont précipité messieurs les François dans la Voltoline.
Le licentiement des trouppes Vénétiennes ne seroit pas tant considérable si l'Espagnol5 n'en acquerroit point de réputation et de proufit tout ensemble, puisque tous les gens accurrent vers luy et grossissent son armée qu'il tâche de mettre en campagne forte de 30m combattans et n'ayant à faire qu'à des François en Italie le moyen sera tant plus facile de les en chasser cest' armée, si Dieu ne favorise mieux nos Suédois qui à ce qu'on nous escrit ont perdu beaucoup en Poméranie, le chasteau de Volgalst défendu de cinq régimens come dites ayant esté pris par les ennemys qui y doivent avoir trouvé des gran butins.
Tout le monde se desfie de la conduite de la France, qui a donné occasion aux Vénétiens de transiger avec l'empereur6 touchant Mantoue et la neutralité, voyans qu'il est impossible en la compagnie des François seuls chasser l'Espagnol hors d'Italie et qui desgouste aussy de iour à aultre les Suisses cattoliques, continuans en leur mauvaise volonté contre le duc de Veimar7 qu'ils ne veulent pas supporter sur les terres de l'evesque de Basle8, et l'empereur les y pousse en ayant escrit ces jours passés fort vivement à tous les cantons9 ausquels il objecte
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ce support de ses ennemys dans leur voisenage, les exhortant à la longue à l'observation de l'alliance héréditaire et de la neutralité promise, conforme laquelle il recerche qu'ils ne leur donnent aucun passage par ses terres menaçant de la guerre ceux qui y contre viendront, non pas autrement come s'il estoit desià maistre absolu de toute la Suisse. Ce néantmoins les cattoliques par ie ne sçay quelle fatalité approuvent tout et sont contans que l'empereur entretiène parmy eux à Lucerne le baron de Schvartzenbach10 en qualité du commissaire impérial, nom qui préjudicie grandement à leur liberté, mais la haine des François et de ceux de la religion en Suisse leur esblouyt les yeux, et facilite les desseings de la maison d'Austriche sur leur pays.Ceux de Zurig ont publié une nouvelle assemblée à Baden11, où tant de cela che d'Hohentvil et des forts de Rhin et de Steig ils veulent délibérer ensemble, mais tout passera more solito sans aucune résolution.
I'enten que les Grisons ont esté satisfaits en Espagne touchant leur pays et alliance, mais non pas de la Voltoline, que l'Espagnol veut maintenir conforme le traitté de Monson12 ayant d'autres moyens pour en récompenser les chefs Grisons encor que le peuple en soit fort irrité et trouvant quelque appuy ne manquera de se remuer plus qu'auparavant. Interim justus patitur et les biens des pauvres protestans en Voltoline sont exposés au butin de l'un et l'autre party.
Au retour des députez d'Espagne13 ie vous en sçauray donner plus de particularitez, lesquelles en attendent ie prieray Dieu qu'il vous maintiène, Monsieur, en sa saincte garde et moy en vostre bonne grâce, qui tiens à faveur de porter la qualité, monsieur, de
vostre serviteur redevable
Mariny.
De Zurig, du 11/21 de Jenvier l'an 1638.
Adres: (met andere hand) M.r Grotius.
Boven aan de brief schreef Grotius: Rec. 5 febr
In dorso: 11/21 Jan. 1638 Marin.