Monsieur,
J'ay esté ravy d'avoir trouvé la commodité de vous escrire l'estat des affaires en nos quartiers.
Les François soubs le commandement du comte de Guébriant2 estans arrivé auprez de Neuburg. Son Altesse3 les a fait passer avec de pontons en deçà et les ayant laissé reposer 2 à 3 iours il a commancé de marcher contremont le Rhin pour s'aller joindre avec le général-maior Taupatel4 lequel s'est retiré iusqu'à Höchweil à cause de l'arrivée de Goetz5 avec dix huict régimens de cavallerie sans les Crabatas et dix à douze rigiments d'infanterie.
Il a escrit à son Altesse comme a fait aussy le duc de Savelly qui est avec luy.
Le premier luy escrit des moyens pour relascher leur prisoniers et l'autre ne se souciant plus de cela, puisqu'il est déià relasché, ne fait que remercier son Altesse de ce qu'elle l'a si bien traittée en sa prison et qu'il espère qu'il aura un iour le moyen de s'en revancher, qu'il en avoit donné advis à sa Maiesté impériale6 et l'avoit priée que doresenavant les prisonniers de nostre costé puissent estre mieux traittez qu'il n'ont esté iusqu'icy.
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Cependant le pauvre Jean de Weert7 est mené à Paris, où y sera maintenant. C'est bien la chose du monde qu'il a craint le plus et a dit souvent qu'il aymeroit mieux qu'on le fit mourir que de le mener en France, où il sera un spectacle de tout le monde.
Je ne vous scauroy dire comme son Altesse en a esté fasché luy ayant donné la parole de prince qu'il ne l'y envoyeroit pas.
Elle luy a escrit que le roy ayant demandé de le veoir elle n'avoit peu contrarier à la volonté de sa Maiesté, mais qu'elle luy avoit escrit la priant qu'on luy fasse bonne chère et qu'on ne le mette point sur le théatre comme disent quelquesuns.
Les trouppes françoises peuvent estre 2 mille cincq cens en nombre, mais de fort bonnes gens. Il y a de l'apparence qu'il seront employez en peu de temps.
Son Altesse et nous tertous portons le dueil pour la mort de monsieur le duc de Rohan8.
Le duc de Wirtenberg9 rêve ou bien est enragé de sorte qu'il a esté lié et attaché avec des cordes par cincq on six iours. On l'a laissé à Friburg, puisqu'il est plus propre à ruiner un régiment qu'à le commonder et entretenir. Les médecins ne croyent pas que cela le quitte iamais et qu'il en pourroit bien mourir en peu de temps.
Hyer en la marche son Altesse m'appella à part et demanda si ie n'avoy point d'envie de prendre charge. Je luy dis que peut-estre il me seroit plus profitable que ie la suivisse encore un an ou deux et que ie trouvoy par moy-mesme combien i'ay profité durant le temps que i'avoy esté en sa suitte. Il me respondit que ie feroy mieux de commancer de bonheure. Sur cela le comte de Guébriant arriva, tellement qu'il me dit: J'envoyeray Rotenhan10 aupres de vous pour vous en parler. Je n'ay pas voulu manquer de vous en advertir pour en sçavoir vostre advis. Je l'attendray priant Dieu, Monsieur, qu'il vous veulle maintenir en bonne santé.
Vostre très(obéissant) serviteur
(D. Grotius).
Le 9me de May sti. no. 16(38).
Adres: Monsieur Monsieur l'Ambassadeur de Suède à Paris.
In dorso schreef Grotius: 9 May 1638 D. de Groot.
En boven aan de brief: Rec. 20 May.