Monsieur,
Il y a quatre iours que par la voye de Basle i'ay fait responce à la vostre du 14 courrant2, et escrit quand et quand au sieur Heuf3 le priant qu'il me nomme
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quelqu'un à Lyon à qui i'eusse à addresser mes lettres et pendant que ie n'en aye point de responce de luy et de vous ie me serviray avec vostre permission de l'addresse du résidant de Venise4.Vous aurez sceu les conditions de la reddition de Brisac qui sont fort honorables, mais le gouverneur Rinach5 n'y ayant point satisfait on dit que par ordre du duc6 il auroit esté arresté auprès d'Offenburg, ayant descouvert des mines à Brisac contre l'accord fait, et le chasteau de Landskron n'ayant pas voulu conforme iceluy se rendre.
Un autre non moins importante nouvelle nous survint tout à cest'heur de nostre Banier7 qui doit avoir desfait neuf régiments de Gallas8 auprès de Dömiz le poursuivant bien à la chaude, et si cest'advis est véritable come ie n'en doute point, il facilitera le passage des nostres par l'Elbe où on escrit qu'ils ayent desià fabriqué un pont par lequel ils passent pour poursuivre leur pointe jusqu'en Silésie ou Boïme.
Aux Grisons aussy panche tout à des nouveautés les ministres et le peuple protestant ne voulant point approuver l'alliance d'Espagne si la Voltoline ne leur est prontement rendue, come la verrez par cy enclos extrait9 qu'un des principaux ministres Grisons m'a communiqué. Ce néantmoins les chefs qui au desceu du peuple ont tramé cest'alliance demeurent partisans d'Espagne, les doublons faisant addoucir tout le ma[u]vais traittement qu'ils reçoivent d'icelle, et moyenant que monsieur le duc de Veymar s'approche du lac de Costance ie croy que nous y verront bientost une autre boutade populaire contre leur chefs qui empiètent bien avant sur leur liberté faisant tous les conseils sans l'approbation des communeautés penes quas rerum est summa.
Leur députés10 sont encor en Espagne où ils passent leur temps en banquets, et pourmenades et afin qu'ils ne s'ennuyent trop en attendant leur despêche, un d'eux fust fait cancelier, l'autre capitaine de cent hommes durant sa vie et le tiers secrétaire de la langue ès Grisons. Voilà la courtoisie et pieté des Espagnols qui cum maxime fallunt hoc agunt, ut viri boni esse videantur, per simulationem bonae amicitiae respublicas liberas miserrime prodendo.
Madame de Savoye11 a fait insinuer la trahison descou[v]erte contre son fils12 aux Suisses mesmes, dont toutes fois le cardinal13 se purge par un manifeste publié à Rome d'où on nous mande que le pape14 est après à faire des nouveaux cardinaux entre lesquels doit aussy estre le frère de l'empereur15.
Le duc de Modène16 est de retour d'Espagne comblé d'honneurs et charges qu'on luy a imposés nomine tenus.
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La darnière fregate de Costantinople porte la guerre asseurée contre les Vénetiens qui en sont en gran peine, et encor qu'ils puissent balancer aucunement les Turcs par mer, par terre néantmoins ils sont fort foibles surtout à cest'heur que le passage des Grisons leur est fermé. Dieu veille que cela pousse les princes chrestiens à une bonne paix que tout le monde désire.
Le résidant d'Angleterre17 se tient encor auprès de monsieur de Veymar, niant tout ce que m'avez escrit de l'Escosse et d'autre costre remplissant les oreilles de la Suisse d'espérances bien grandes. Il y a aussy un qui escrit que l'alliance avec nous est accrochée à cause des conditions estranges que la Suède demande à l'Angleterre, désirant pourtant sçavoir de vous ce qui en est en effect.
Au reste, monsieur, i'atten de iour à autre vos lettres come l'Evangile pour me porter quelque bonne nouvelle du payement de l'argent que le sieur Heuf me doit, ayant la bourse fort avide parmy tant de despances qu'il me faut faire, et d'autre part n'ayant point de crédit parmy ceux ausquels ie dois pour ne leur pouvoir donner la moindre satisfaction conforme ma promesse. Au moins veux-ie croire que vous me feray envoyer 4 ou 500 dalers pendant que les descontes viennent de Suède et c'est bien estrange qu'après cinq mois passés elles ne comparoissent pas encor. Ie m'en plain derechef à monsieur le gran chancelier18 vous priant de faire le mesme en me croyant tousiours, monsieur,
Vostre serviteur redevable
Marin.
De Zurig, ce 20/30 de Xbre 1638.
In margine: On nous dit que le baron Hofkirch19 sera employé avec Piccolomini20 contre le duc Bernard et que le gran chancelier revient de Suède.
Boven aan de brief schreef Grotius: Rec. 12 Ian.
In dorso: 30 Dec. 1638 Marini.