Monsieur,
Je suis de retour icy depuis quatre jours, attendant avec impatience vostre résolution sur la lettre que je vous escrivis de Brisac le 11 ou douziesme - il ne m'en souvient pas bien - du mois passé2. Je reçus hyer celle qu'il vous a pleu m'escrire le 16 d'Aoust n.st., par laquelle vous me mandez que vous voudriez bien avoir une copie du serment que l'armée auroit fait après la mort du prince3. Or est-il certain, qu'il n'en a esté fait aucun nouveau, c'est pourquoy vous m'escuserez si ie ne vous en envoye.
Touchant ce que vous mandez que vous croyez que le prince palatin4 doive venir commander l'armée, je vous puis bien asseurer que plusjeurs sont bien de la mesme opinion comme estant le prince le plus apparent et qui y a le plus d'intérest.
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Mais on y trouve la mesme difficulté que vous y trouvez, assavoir que le roy de France5 n'y voudra pas fournir l'argent. Là-dessus on respond que si le roy de France ne l'assiste pas que le roy d'Angleterre6 sera obligé de le faire. Mais il y en a plusieurs qui s'en doubtent fort disans pour raison que l'on a veu les belles occasions que l'Angleterre a négligées depuis plus de dix ans. Qu'elle a eu assez de moyen de restituer le roy de Bohème7, si elle eust voulu embrasser les affaires de bon coeur. Que si elle ne l'a fait pour ledit roy, à quoy elle estoit si fort obligée par l'estroitte alliance, combien moins elle le fera maintenant. D'avantage que quand mesme le roy d'Angleterre voudroit embrasser l'affaire, qu'il n'en a pas bien les moyens: qu'il ne peut assister son nepveu que d'argent, et que cela ne suffit poinct. Qu'au contraire le roy de France peut entretenir l'armée non seulement d'argent, mais aussy de gens et de tout dont elle pourroit avoir besoing, comme estant plus proche d'Allemagne.Pour confirmer cela il disent que le roy a envoyé monsieur de Longeville8 par deça pour aller commander l'armée de feu son Altesse9 et qu'en peu de jours il arrivera quatre ou cinq mille François pour se joindre à ladite armée, qui se tient auprès de Speyr.
Voylà le discours des gens qui croyent entendre fort bien les affaires. Mais ie ne me puis pas imaginer tout cela. Il est bien vray, que monsieur de Longeville est arrivé icy sammedy passé, et y a esté fort bien receu. Il en partit avanthyer au matin. L'on disoit que c'estoit pour Brisach, mais au contraire, car il alla coucher à Mulhausen et le lendemain à Colmar, où il se veult tenir quelque temps pour y attendre les ordres du roy ou bien ce que ie croiroy plutost, jusqu'à ce que l'on le conviera d'entrer dans Brisach. Le roy demande ladite place, mais ie voudrois gager ma vie qu'elle ne luy sera pas rendue. Ce que j'en dis est seulement pour avoir ouy les discours qu'en font pas seulement les officiers, mais aussy les simples soldats de ladite guarnison. Et quoy, disent-ils, nous croit-on traistres jusqu'à ce point que de vendre nostre patrie. Et pourquoy avons-nous exposé nos vies et nos biens avec feu nostre maistre, si non pour tascher de gaigner quelque chose en récompence de nos biens que nous avons perdus en Allemagne. Et l'ayants gaigné serons-nous si aveuglez que de l'aller vendre pour une pièce d'argent que nous durera peut-estre trois sepmaines, et au bout de cela nous ne scaurons ce que nous deviendrons. Ouy mais nous dira-t-on, le roy vous entretiendra. Le roy nous entretiendra tant qu'il aye de nous ce qu'il demande et au bout de cela ne se souciera plus de nous. D'avantage quand mesme nous voudrions obéir au roy et luy donner ce qu'il demande, le serment de fidélité que nous avons fait à la couronne de Suède et à qui nous sommes encor jusqu'à présent, ne nous en empeschera-t-il pas.
Voylà ce qu'ils disent tous ensemble, et quelques-uns vont bien plus avant et disent que quand mesme les quatre chefs de l'armée10 voudroyent donner au roy
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ce qu'il demande, qu'ils s'y opposeroyent et qu'ils ne voudroyent pas sortir de Brisach, mais plutost y laisser la vie. Cependant les François tienent pour asseurer qu'on ne refusera rien au roy, et en parlent mesmement comme s'ils le tenoyent déjà.Delà vous pourrez cognoistrez, monsieur, quelle fin auront les affaires, au moins le pourrez-vous bien diviner. Le roy sans Brisach et l'armée sans argent: le plus expédient seroit, si le duc Guillaume11, frère de feu son Altesse, pouvoit venir à l'armée. Mais les ennemis prendrent bien guarde à sa personne, et supposons qu'il vienne, ce qu'il ne voudroit pas faire au moins, y-a-t-il apparence, cela entretiendroit-il l'armée: poinct du tout. Mais ie croy moy qu'avec le temps nostre armée taschera à se joindre aux troupes suédoises, qui sont en Franconie, au moins juge-t-on que c'est le plus apparent. Elles sont comme j'ay déià dict autour de Speyr oisifves, pendent que les ennemis assiègent Hohenwiel et y jettent force grenades.
On tient pour certain que le mareschal Banier12 a pris Prague; quelques-uns disent qu'il auroit défait Hatsfeld13, des aultres parlent de Gallas14. Voylà sont ce que nous sçavons de nouveau.
Pour mes affaires en particulier je vous puis bien asseurer que je suis icy en grand attente pour sçavoir ce que ie doibs faire, et fus party d'icy en trois ou quatre jours pour vous aller trouver, si la lettre que ie receus hyer de vous ne m'eust encor arresté quelques jours. Car je voy par ycelle que vous n'aviez pas encor receu la lettre que je vous escrivis le jour que l'on nous a donné nostre congé à Brisac15. Je croy que i'auray des lettres de vous sammedy qui vient, qui me diront vostre résolution que ne sçauroit estre autre que selon mon attente, si vous avez bien considéré les raisons, pourquoy ie ne voudrois pas demeurer icy.
Vous m'escrivez, monsieur, que ie ne ferois pas mal de m'engager dans quelque guarnison, si d'avanture ie pouvois. Certes je ne pensois pas que vous me voulussiez conseiller de m'aller engager dans quelque place, d'où je ne sortirois pas de cincq ou six ans, et peut-estre point du tout. Car ce n'est pas icy comme en France ou en Hollande. L'on n'en est pas quit quand on veult. Je sçay comme l'on blasme mon frère de s'estre en allé sans avoir eu son congé. Et l'on sçait combien il a travaillé pour l'avoir. Et pourtant l'a-t-il eu, au moins l'a-t-on eu pour luy. Oultre cecy de quoy voudriez que ie m'entretienne en une guarnison, ou bien à l'armée mesme les affaires allants comme elles vont et iront sans doubte encor pis. Il faudroit que de trois choses j'en fisse une nécessairement, c'est-à-dire vous couster grand argent ou vivre misérable, ou bien estre voleur comme il y en a beaucoup, et des officiers mesme, qui se meslent de ce mestier, n'ayant pas de quoy vivre sans cela. Il est vray que ce n'est pas voler ouvertement, mais tousiours escorchent-ils les peauvres habitans, que c'est une pitié. Et cecy est venu cy-avant parmy nos gens, que l'on tient ceux qui le sçavent le mieux pour les plus honestes gens. Et le font à qui mieux mieux. Je vous laisse à penser, monsieur, si cecy n'est pas
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capable de vous dire que j'aimerois mieux d'aller porter le musquet ailleurs en quelque armée que ce fust, que d'estre officier icy. Il y a l'armée de Hollande, où vous me pouvez faire servir, il y a les troupes estrangères en France, si d'avanture vous ne voulez pas que ie serve parmy les Françoises. Il y a l'armée de monsieur Banier qu'est bien la plus apparente, et où j'ay le plus d'inclination, ce que me conseilloit aussy monsieur Marin16 comme j'eus l'honneur de le veoir l'autre iour. Comme il vous aura escrit17 sans doubte, et pas seulement luy, mais ie voy aussy que tout le monde me le conseille. Et finalement suis-ie résolu d'aller là où il vous plaira.Je voudrois avoir vostre responce, parce que ie despense icy quantité d'argent et n'en ay plus guerres. Car ie voy bien qu'il me faudra payer icy les 25 pistoles à monsieur Rhellinguen18, de quoy ie vous envoyay un billet dernièrement19. Mais il m'a fait dire que vous aviez respondu au gouverneur de son fils20 que vous ne les vouliez pas payer, et que j'avoy icy mes chevaulx qui ne me servoyent de rien, que ie les pouvois vendre pour le payer. Aussy ay-ie fait, et ie le vay payer aujourd'huy ou demain s'il plaist à Dieu. Néantmoins voudrois-ie pour beaucoup que cecy ne fut pas arrivé, ou au moins que ce fut avec quelque autre que monsieur de Rhellingen. Je le cognois bien, c'est un homme qui fait plus d'estat d'un sol que de sa vie. Il va descrier cela partout et à tous ceux qui me cognoissent.
Pour ce qui est de cet autre argent que i'avois tiré de Ringler21, l'on m'a dit que vous ne voulez pas le payer non plus que l'aultre. Au moins, monsieur, si vous me le voulez pas payer devant que ma mère vienne, l'on peut bien donner une bonne parole à ses gens àfin qu'ils attendent quelque temps. Car i'en pourrois avoir grand incommodité icy dudit Ringler, qui me persécute tous les jours. Je vous asseure, qu'après avoir payé le 25 pist. à monsieur de Rhellinguen, il n'est pas en mon pouvoir de payer cecy. Vous pouvez juger ce qui me restera pour faire mon voyage de cent pistoles que j'ay receu il y a un mois, que croyez-vous quelle dépense je suis obligé de faire icy, depuis trois sepmaines que (i'y) suis. Si d'avanture vostre résolution ne vient devant que mon argent soit dépensé ..........................................22.
Boven aan de brief schreef Grotius: Rec. 15 Sept.